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avez parlé du 18 Brumaire. » Et mon grand père répondit : « Sire, l’histoire en décidera. »

Le petit fils ayant l’occasion d’en parler aujourd’hui, voici ce qu’il lui en semble.

L’opinion publique moyenne ne juge plus aujourd’hui le 2 Décembre comme l’a jugé pendant de longues années l’opinion libérale. Elle ne qualifie pas ce coup d’État de crime, comme le Victor Hugo des Châtiments, et bien peu de jeunes gens aujourd’hui connaissent son apostrophe, éloquente et indignée, à la mer, qui était familière à nos mémoires de vingt ans :

D’ailleurs, mer sombre, je te hais.
O mer, n’est-ce pas toi, servante,
Qui traînes sur ton eau mouvante
Vers Cayenne, aux fosses profondes,
Les noirs pontons qui sur tes ondes
Passent comme de grands cercueils ?
....................
....................
Et s’ils pleurent, si les tortures
Font fléchir ces hautes natures,
N’est-ce pas toi, gouffre exécré,
Qui te mêles à leur supplice
Et toi qui, de ta voix complice,
Couvres leurs cris désespérés ?

Lorsque j’étais jeune, ces strophes et d’autres encore des Châtiments, dont la vente était proscrite, étaient récitées par les étudiants, au quartier Latin, au café Procope ou ailleurs. Les Châtiments trouvent bien peu de lecteurs aujourd’hui. Mais cette indifférence au Crime n’empêche pas que l’intervention de la force militaire dans la vie légale d’un pays ne soit chose fâcheuse en elle-même, car, si elle peut, comme au 18 Brumaire, avoir des effets bienfaisants, elle peut aussi, dans des circonstances différentes, avoir des conséquences périlleuses. Peu s’en est fallu, il y a quelques années, qu’une opération de même nature ne fût exécutée par un général dont le cheval noir avait surexcité l’engouement populaire, et Dieu sait ce qui aurait pu en résulter !

Ce qui achève d’ailleurs de différencier le 2 Décembre du 18 Brumaire, c’est d’abord le sang qu’il a coûté. La population de Paris sembla d’abord y être insensible. « Plus souvent,