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m’attendaient et me conduisirent, à deux pas, à l’hôtel de Mme Soulier. Un hôtel élevé par les soins de la compagnie du Bagdad, exactement ce que nous appelons chez nous « le Café de la gare, » tout neuf dans un jardinet dont les arbres sont encore des manches à balais. Quel palais ! quel bien-être ! Je rentre en civilisation. Dois-je manger ou dormir ? Dormir.

Dans mon premier sommeil, j’entendis la Marseillaise. C’étaient les Assomptionnistes avec leurs élèves, qui, ayant appris mon arrivée, venaient me fêter sous mes fenêtres. La trompette du jugement dernier ou la flûte de Djelal-eddin Roumi lui-même ne m’auraient pas mis debout. Mais douze heures plus tard, je ressuscitai. Je sautai à bas de mon lit, j’ouvris les fenêtres pour mieux entendre les oiseaux et respirer un air divin, et l’un de mes plus grands plaisirs commença. Est-il des moyens mécaniques pour multiplier en nous l’enthousiasme ? C’est un problème que depuis sept siècles on prétend résoudre à Konia, au rythme des flûtes et des tambourins. Peut-on ouvrir au Codex un chapitre supplémentaire et dresser une nomenclature d’agents matériels propres à exalter l’âme ? Connaissons-nous d’expérience certaine ces obscures régions de l’être où l’on voit le matériel et l’immatériel communiquer entre eux et s’émouvoir ? C’est ici que je m’en ferai une idée.


MAURICE BARRÈS.