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école gratuite tout ce qu’elle peut recevoir, 162 élèves. Depuis les massacres, les musulmans ont, tous, déserté notre école primaire ; ils l’abandonnent aux Arméniens catholiques, mais 24 d’entre eux viennent au collège. Tous ces enfants, quelles que soient leurs races ou leurs confessions, parlent français.

Les sœurs de Saint-Joseph de Lyon dirigent à Adana un groupe d’institutions variées : un pensionnat payant, où 248 jeunes filles, des meilleures familles et de toutes religions, suivent les programmes du brevet simple et du brevet supérieur français ; un externat gratuit de 149 élèves, dont les programmes sont ceux du certificat primaire ; une école maternelle de 115 enfants ; un orphelinat de 118 petites filles ; un dispensaire et un hôpital.

Jésuites et Sœurs, ils ne sont pas encore remis matériellement des massacres d’avril-mai 1909.

— Chez nous, me disent les Pères, tout fut incendié. Chez les religieuses, une bonne moitié de l’école. Au bas mot, 450 000 francs dédommagés. Le Gouvernement ottoman refuse toute indemnité. Il faudrait une action concertée de toutes les Puissances. Nous pouvons l’attendre ! Il y a un Français à Mersine, M. Henri Artus, et les deux drogmans du Consulat de France, l’un à Adana, l’autre à Tartous, dont les pertes se montent à plusieurs milliers de livres turques. Les drogmans n’ont été incendiés qu’à cause de leur qualité. Quelle injustice et quelle déconsidération que nos clients soient ainsi traités !

— Cependant vous restez ?

— À l’invitation officielle de quitter Adana, par crainte de nouveaux massacres, la Mère supérieure a répondu : « Je resterai, dussé-je y laisser ma peau… »

Ah ! ceci commence à m’intéresser. Il y a des minutes longues dans mon rôle de greffier. C’est bien souvent terre à terre. Mais là notre conversation se détache du sol. Vraiment, la religieuse a ainsi parlé ? Pourquoi ? Je cherche à me représenter son état d’esprit. Que veut-elle ? Des émotions, comme nous autres, gens du siècle ?

Les Pères, que j’interroge, me remettent des mémoires où les religieuses énumèrent qu’elles ont perdu maison, vêtements, travaux, et dans ce dénuement entonnent avec allégresse l’hymne de la pauvreté, pour terminer par : « Vivent Dieu et le devoir ! »