Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par la mer et la montagne. Un joli champ clos, bien dessiné, bien aplani. Ici s’est formée cette jeune figure héroïque. J’ai le culte des heures matinales d’un grand destin ; j’éprouve un attrait enchanté pour la gloire adolescente de ceux qui ont modifié la face du monde. Ici, Alexandre le Grand, l’élève d’Aristote, ayant franchi le Taurus, vint imposer avec sa phalange macédonienne la raison grecque à l’Asie. Je ne m’inquiète pas de la manière dont il était vêtu, casqué et armé. Ici, il a éprouvé son plus grand émoi et gravi la côte d’une fortune inouïe, que l’humanité n’a pas cessé de contempler. Tout l’hellénisme qu’il porte en lui, il va le jeter sur les vieilles civilisations de l’Oronte, du Tigre, de l’Euphrate et du Nil, et produire ces mélanges qui, depuis des semaines que j’y voyage, m’enivrent. Je m’émerveille de reconnaître Issus par ce matin triomphal, et bientôt, à travers des campagnes si coutumières et si françaises qu’elles me donnent l’idée que je perds mon temps à les regarder, nous gagnons Adana. C’est midi.


ADANA

Nous avons déjeuné au réfectoire du couvent des Pères jésuites. J’interroge, je prends des notes. Ne me demandez pas que je maintienne la forme du dialogue aux renseignements que j’obtiens. Mieux vaut tout de suite en tirer la substance.

D’après ce que me disent mes hôtes, cette Cilicie semble le pays de la peur. Dans cet Orient où, partout, j’ai senti l’insécurité, ce pourrait bien être la pire région, parce que les Arméniens, qui ne dépassent guère une moyenne de 17 ou 18 pour 100 dans les vilayets où ils sont les plus nombreux, y poursuivent la chimère d’être reconnus comme une nation, et qu’alors les Turcs trouvent expédient de les tuer.

Dans leur péril, ces malheureux essayent de s’abriter auprès des Occidentaux, en fait, auprès de la France. L’Angleterre et l’Italie cherchent bien à jouer un rôle, et l’Allemagne tire quelque profit moral de la construction du Bagdad, mais c’est à nous que viennent toutes les sympathies ; c’est le français qu’on parle couramment, et on l’apprend auprès des missionnaires.

Ces Jésuites d’Adana, avec qui je cause, sont quatre, assistés de frères maristes et de maîtres indigènes. Ils ont, dans leur collège d’enseignement secondaire, 371 élèves, et dans leur