Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 17.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XVIII. — D’ANTIOCHE A KONIA, PAR ALEXANDRETTE, ADANA, TARSE ET LE TAURUS

Tout pleins des plus beaux regrets, nous nous éloignons d’Antioche par notre chemin d’arrivée, le seul, je crois bien, qui desserve ce village émouvant au pied de son rocher. Plaine marécageuse (l’antique Syria Pieria), et puis bientôt à gauche, vers Alexandrette et la mer, les gorges de l’Amanus. Je remonte la route des envahisseurs, la piste que suivirent les Grecs d’Alexandre combattant Darius, et les Croisés de Godefroy de Bouillon marchant sur Jérusalem. Je vais franchir, ce matin, au milieu d’arbousiers, de myrtes et de sapins, les portes Syriennes, et, en peu de jours, par Alexandrette, Adana, Tarse et les portes Ciliciennes, j’aurai gagné Konia, un des buts principaux de mon voyage, car voici des années que je rêve de conquérir auprès du tombeau de Djelal-eddin Roumi, le secret des danses sacrées… Jusqu’à cette ville des derviches, je ne prévois rien que désire mon imagination, et je suppose que je vais me borner, dans un agréable repos de l’esprit, à accueillir de droite et de gauche les images que ne manquera pas de me proposer un chemin si fameux.

Vers onze heures, déjeuner à Beylan, village accroché avec ses petits balcons et ses toits rouges sur la pente assez raide de la montagne. Dans cette verdure surabondante de vignes et d’arbres fruitiers, ce n’est déjà plus un village syrien, mais quelque chose d’Europe.

À deux heures, Alexandrette, tout au ras de la mer, sous une buée de chaleur, de fièvre et de moustiques. Je vais me promener sur le port qu’en esprit nous nous disputons tous. Belle rade où veille un vaisseau allemand.

Ici, je suis pris tout entier par la vie la plus actuelle, et attristé par cette supériorité allemande que j’ai déjà reconnue à Alep. L’Allemagne agit sur l’imagination des riches d’Alexandrette, alors même qu’ils parlent notre langue et se targuent d’aimer Paris. Leur opportunisme, leurs doutes mesquins, leur défection m’irritent. Quoi ! les supériorités de la France seraient mises en question, du fait que d’autres peuples conquièrent la prépondérance économique ! Quelle pitoyable appréciation des valeurs humaines !