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travaillons à comprendre… Les religieuses me racontent qu’elles ont pour voisin un notable Turc, qui est d’un caractère obligeant. Un jour, elles l’ont prié de venir tuer un serpent qui s’était glissé dans leur maison et les épouvantait. Par la suite, cet homme serviable a été un terrible massacreur d’Arméniens. Elles se sont risquées à lui en glisser un reproche : « Pourquoi avoir fait cela ? » Et lui : « Pourquoi m’avoir appelé pour tuer le serpent qui était dans votre maison ? »

C’est moins l’Orient que l’humanité elle-même qu’on doit tenir en suspicion et continuellement harmoniser. Il faut une seule religion et qu’elle soit de qualité éminente. Entretenons avec ardeur ce qui fait notre unité, c’est-à-dire la plus haute culture spirituelle. Et vivent nos missionnaires, prêtres et religieuses !

Tard dans la nuit, j’ai causé avec les deux capucins. Ces pauvres gens, tous deux seuls dans cette maison, et je crois, dans Antakiyé, avec le consul, — car s’il y avait d’autres Français, voire des clients de la France, on les aurait convoqués pour que je leur serre la main, — ces pauvres gens sont encore plus émouvants qu’aucun des religieux que j’ai vus de tout mon voyage. Et pas un mot sur leur personne. Ils ne voient que leur tâche et leur congrégation. D’ailleurs, quelle histoire instructive, à travers les siècles ! C’est en 1625 qu’ils arrivèrent ici, par un effet des grands desseins de cet homme de génie (génie en Orient et génie sur le Rhin) que fut le fameux Père Joseph. Leur mission était française, et le demeura jusqu’en 1810. À cette date éclate l’inévitable conséquence de la fermeture des établissements religieux en France par la Révolution. Les capucins français d’Antioche mouraient l’un après l’autre ; faute de recrues françaises, la Propagande les remplaçait au fur et à mesure avec des Italiens ; et, en 1810, le dernier de nos vieux moines ayant disparu, toute la mission de Syrie et de Cilicie devint italienne.

Il en fut ainsi jusqu’en 1902. À cette date, la pénurie de sujets italiens et l’administration déplorable d’un supérieur de la mission syrienne obligèrent la Propagande à restituer aux capucins français cette mission de Syrie que pendant deux siècles, de 1625 à 1810, ils avaient desservie.

Ainsi l’étude de notre passé nous conseille l’espérance. D’heureuses circonstances nous ont toujours permis de réparer