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temple qui se dressait comme une explication mythique du paysage. Mais c’est trop peu que mon hommage ; j’apporte au Dieu les dévotions de mes vieux maîtres, les Louis Ménard, les Leconte de Lisle, que je sens qui m’accompagnent ici avec leur part immortelle, et qui m’envient d’y pouvoir prendre, corps et âme, mon plaisir. Et soudain, voici paraître à mon côté le cher disciple de Ménard, M. Émile Lamé ; vous savez bien, celui qui, un beau jour, se jeta par sa fenêtre en s’écriant : « Je m’élance dans l’éternité. » Race des fols, innocente filiation des Ballanche, des Gérard de Nerval, des Ménard ! J’ai cru voir dans le soleil éblouissant de Daphné, au milieu des noirs lauriers, Lamé prendre au creux de sa main l’eau sacrée qui s’enfuit, en faire une triple libation au Dieu, aux Muses, à saint Babylas, puis entonner la louange de Julien l’Apostat qu’il disait un des esprits les plus chrétiens qui furent jamais : « Si ce grand homme vivait de nos jours, avait-il coutume de dire, il serait prêtre et journaliste catholique, catholique de ce catholicisme que professe un abbé Gerbet quand il voit le dogme générateur du christianisme dans toutes les religions avant Jésus-Christ, et qu’entrevoyait le grand Joseph de Maistre dans ses moments lucides, quand il nous peint le christianisme comme la meilleure satisfaction aux instincts religieux que la race européenne a manifestés de tous temps. Au lieu de mettre le christianisme en opposition avec le paganisme, Julien, — c’est toujours Lamé qui parle, — nous montrerait le Sacrifice, l’incarnation, la Rédemption, comme le fond mystérieux de tous les cultes païens. J’en appelle, s’écriait-il, de saint Ignace à saint Thomas, de saint Thomas à saint Augustin, de saint Augustin à saint Athanase, de saint Athanase à ses maîtres les Alexandrins, Plotin, Jamblique, Ptolémée et Hipparque, des Alexandrins à Aristote et Platon, leurs maîtres avoués, de Platon et Aristote à Anaxagore, Parménide, Philolaüs, introducteur des doctrines chaldéennes et égyptiennes dans la science et la religion grecque, et d’eux tous à Homère, père commun de la poésie, de l’art, de la religion et de la philosophie des Grecs et des Latins, et créateur de ce langage, de ce Verbe que nous adorons depuis tant de siècles… »

Fol charmant, lui dis-je, laissez que je m’enivre de l’atmosphère et que j’ajourne de raisonner. Dans ce vallon sacré, sous ces bosquets chargés d’un sens éternel, accueillons ce qui