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À plusieurs reprises déjà, au cours de notre voyage, nous avons parlé de places fortes qui succombent par la trahison de leurs défenseurs. Serait-ce que ces Orientaux se placent à un point de vue différent du nôtre pour juger le loyalisme et l’honneur ? C’est plutôt qu’ils ne sont pas unifiés entre eux. Ils servent des dieux divers et ennemis. Au moment où les Croisés assiégeaient Antioche, il n’y avait qu’un demi-siècle que les Musulmans la possédaient. Beaucoup de Grecs et de Syriens chrétiens y demeuraient encore. Cet Arménien, du haut de la tour qu’il était chargé de défendre, voyait la croix érigée au milieu du camp ennemi.

Le 2 juin, vers trois heures de l’après-midi, Bohémond, prince de Tarente, fit prendre les armes à son corps d’armée et parut s’éloigner de la ville, pour aller battre le pays et y chercher des vivres, comme faisaient souvent les chefs chrétiens. Il alla jusqu’à Daphné. Puis, de nuit, il revint brusquement par un des vallons qui sillonnent le pays, et cinquante hommes de choix se glissèrent à l’angle Sud-Ouest de la ville, sous la Tour des Deux-Sœurs, où Firouz veillait. Ils lui firent passer une échelle qu’on attacha au parapet à l’aide d’une corde. Ce fut Foulcher de Chartres qui monta le premier sur le rempart… Mais, la ville prise, d’assiégeants nous y devînmes assiégés ; c’est un nouveau chapitre d’horreur et d’héroïsme.

Continuant ma promenade, je suis entré dans le petit cimetière latin, et j’ai vu sa caverne, où l’on dit que les apôtres Pierre et Jean réunirent les premières assemblées des Chrétiens. Un filet d’eau y court, qui pouvait servir au baptême… Indéfiniment, j’ai erré sur ces pentes rocailleuses et dans ces pauvres jardins. Je regardais ces tombeaux creusés dans le roc, syriens plutôt que romains, et qui servirent d’ermitage à des anachorètes, parmi lesquels on cite le grand Chrysostome. Sous le château, on m’a fait voir la grotte où sainte Madeleine se retira pour faire pénitence. Que sait-on d’exact ? Mais il s’agit bien d’archéologie ! Je ne cherche ici que l’animation de l’esprit. Le soir tombe. Des voix qui flottaient dans l’air se mettent à parler, car elles ont reconnu mon amitié qui les appelle. Ce désert se peuple d’une foule qui nous tend les bras. Sur ce ravin, au bord de cet Oronte, fut proféré pour la première fois notre nom de Chrétiens. Ici nous avons accepté l’appellation qui proclamait que désormais un groupe d’êtres