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hommage, parce que j’enquête sur la spiritualité française en Orient. Ici je pénètre dans la région des massacres, où des pédagogues et des fonctionnaires ont accepté, comme la chose du monde la plus naturelle, l’espèce d’obligation qui leur était faite de devenir des héros. Nos maîtres donnent l’enseignement primaire, l’enseignement secondaire, l’enseignement professionnel, et puis, l’heure venue, pour le même prix, ils montrent la figure de la France. Si j’avais à leur dresser un monument symbolique, je voudrais représenter ce Lazariste, le père Dillange, qui, en 1910, à Akbès, promenant son école, rencontra un chien enragé. Pour couvrir ses enfants, il se jeta au-devant de la bête. Il fut mordu et mourut dans d’effroyables souffrances. Quelle image de la haute idée que se font de leur rôle de protecteurs les représentants de la France, religieux ou laïques ! De tels hommes rétablissent dans notre esprit une heureuse moyenne, aux moments où les mauvais aspects de la vie menacent de remplir le champ de notre vision.


LA VISITE D’ANTIOCHE

Au sortir des classes de garçons et de filles, le consul et les deux capucins m’ont emmené visiter la ville. Une petite bourgade, adossée à des rochers stériles, et qui n’occupe qu’un coin de la vaste enceinte dessinée par les murailles antiques. Des ruelles désertes et sans symétrie ; çà et là, des places, qui souvent ressemblent à des mares ; des maisons petites et basses, à cause des tremblements de terre, et qui communiquent par des cours enchevêtrées. Peu de fenêtres et très étroites, barricadées et le plus haut possible. La place des cafés, dans la rue principale, près du pont de l’Oronte, aimable, sans la sécheresse arabe. Tout cela vieillot, gentil, compliqué. On dirait une ville de secret et de mystère. Nous n’avons pu entrer dans les mosquées, qui gardent des formes d’églises et parfois, paraît-il, recouvrent des cryptes. Basilique de l’apôtre Pierre, où fut trouvée cette sainte lance qui d’abord sauva la première croisade et qui, par la suite, fut disqualifiée ; et vous, rotonde byzantine, qui renfermiez une image miraculeuse de Notre Dame ; églises de saint Jean Chrysostome, des saints Côme et Damien, de sainte Mesme, de saint Siméon, qu’êtes-vous