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Mlle Nicole ?

— Sans doute : n’avez-vous donc point remarqué sa sollicitude filiale ? Elle vous offrait à miss Maud pour son bob, afin de reprendre son père.

— Ah ! c’était pour cela ?

— Évidemment. Les manèges de miss Maud l’énervent. Elle perdra sûrement la course de bob. Tout l’hôtel s’amuse à suivre le match des deux jeunes filles. M. Deleuze en est l’enjeu.

— Et votre princesse Olga ?

— Pas la mienne, celle de M. Deleuze, et peut-être de beaucoup d’autres. Elle est partie ce matin. Elle était même, paraît-il, de fort méchante humeur. Elle a dû être renvoyée, avec des cadeaux comme il convient.

Maurice Aynaud-Marnière écoutait avec stupeur les racontars de son collègue. Il avait cru, dès son arrivée à Gstaad, intéresser deux jeunes filles également belles, également sympathiques, et déjà il se préoccupait de son choix qui l’inclinait vers l’Anglaise, quand, en réalité, aucune des deux ne lui prêtait la moindre attention, l’une défendant son père contre l’autre qui le poursuivait. Mais, fort de l’expérience tirée du traité de psychologie amoureuse le plus moderne, Recensement de l’amour à Paris, il prit son air le plus tranchant pour déclarer :

— Allons donc ! Ces jeunes filles, comme leurs mères, ne recherchent aujourd’hui que les danseurs de vingt ans.

— Pour la danse, mon cher collègue, pour la danse, mais non pour le mariage, ni même pour l’amour. Vous avez longtemps vécu loin de Paris, cela se voit. Nous en sommes au règne de la jeune fille. Or une femme ne peut régner qu’avec les rois. Qui mène le jeu, aujourd’hui, je vous prie, dans la politique, la finance, la diplomatie, la littérature, qui, sinon l’homme de quarante, et le plus souvent de cinquante à soixante ans ? C’est lui qui détient l’influence, le pouvoir et l’argent. Et par surcroît, seul, il a gardé la science ou l’art de plaire.

— Seul ?

— Évidemment. Regardez ces jeunes gens qui se précipitent sur leur danseuse comme sur une proie et qui la ramènent à sa chaise sans lui avoir adressé la parole. Ils sont rugueux et âpres, indélicats et mal dégrossis. Tandis que l’homme âgé a des attentions, de la gentillesse, du tact, de la conversation, de la discrétion, en un mot du charme. Les femmes y sont plus sensibles