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devrait toujours être assez fort pour décourager toute résistance ou offensive adverse. Axiome : montrer la force pour n’avoir pas à s’en servir. Bientôt les sirènes de l’usine mugissent ; des bandes d’ouvriers entourent, le garage où ont pénétré nos soldats ; on remarque, circulant de groupe en groupe, des étudiants, des agitateurs nationalistes qui excitent les ouvriers et les poussent à attaquer ; des pierres et des morceaux de bois volent, ponctuant les injures et donnant aux menaces un sens effectif ; une locomotive s’avance et lance des jets de vapeur pour échauder le petit détachement ; un groupe se glisse derrière les Français pour leur couper la retraite ; l’officier fait, en allemand, les sommations prescrites, il ordonne de tirer quelques balles dans le plafond du hangar pour avertir la foule ; les cris et les menaces redoublent ; depuis quatre heures, nos soldats sont restés impassibles, mais il sont débordés ; l’officier commande le feu : dix morts et 23 blessés grièvement restent sur le carreau. Des photographes apostés par les Allemands prennent des clichés. La foule se disperse ; des renforts achèvent de rétablir le calme. Le commandement français fait arrêter comme responsables quatre des principaux directeurs des usines Krupp. L’enquête montre que, contrairement aux allégations allemandes, les manifestants ont été frappés par devant ; ils ne se retiraient pas, ils ne fuyaient pas ; ils entouraient et serraient de près les soldats français dont on ne peut qu’admirer la stoïque patience.

Aussitôt, selon les scénario préparé, le mensonge allemand, qui doit devenir la vérité officielle pour la presse et l’exportation, s’organise et se précise. Toute la responsabilité incombe aux soldats français ; ils ont, de sang-froid, sans provocation, assassiné les ouvriers allemands. Seuls, quelques journaux communistes, tout en protestant contre la sauvagerie du militarisme français, reconnaissent qu’une lourde responsabilité incombe au Gouvernement et au capitalisme allemand. Les correspondants anglais et américains rendent, quelques-uns sans bonne grâce, hommage à la vérité. Le rapport officiel des conseillers ouvriers des usines Krupp au président Ebert constate que, si le détachement français n’avait pas fait usage de ses armes, il eût été écharpé par la foule. Sans nous attarder au récit des mensonges allemands, qui n’ont nulle part trouvé créance, essayons de comprendre pourquoi le Gouvernement de la grande industrie a intérêt à provoquer de tels incidents. En 1918, la défaite a été, pour le prolétariat allemand, l’occasion d’une révolution qui a chassé les dynasties et établi un régime républicain socialiste ;