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SARAH BERNHARDT


L’émotion causée par la mort de Sarah Bernhardt a été considérable : elle n’a pas été excessive. Beaucoup en ont mal discerné la raison profonde, et plusieurs l’ont exprimée sans nuances ; mais tous ont senti obscurément que quelque chose disparaissait, qui est d’essence rare, et que personnifiait la grande artiste.

D’autres sont des actrices du plus beau talent : elle était, elle, une artiste. Toutes les bonnes fées du théâtre lui avaient prodigué leurs dons, à commencer par cette voix d’or, que nous gardions toujours dans l’oreille pour l’avoir entendue jadis, et dont, jusqu’en ces derniers temps, nous retrouvions parfois l’étonnante limpidité et les infinies modulations. Elle avait mieux qu’une beauté régulière : le charme étrange du regard, une élégance, une souplesse de roseau, le rythme de la démarche, la grâce du geste, la poésie de l’attitude et, plus que tout encore, ce qui ne s’analyse ni ne se définit, et par quoi elle enchantait, elle troublait, elle ensorcelait. Elle était femme jusqu’au bout des ongles, délicieusement, terriblement femme ; elle donnait plus qu’aucune autre la sensation aiguë de ce que Gœthe appelle l’éternel féminin. Ajoutez une science du costume, où se rencontraient le goût inné de la parure et un sens instinctif du pittoresque. Mais c’est l’âme qui fait l’artiste. Jamais artiste ne fut plus littéralement dévorée du feu sacré. De tout son être, elle vivait ses rôles ; de là cette vie qui se dégageait d’elle si intense, de là cette action qui lui livrait le public : elle le prenait par les entrailles, pour cette simple raison qu’elle se donnait toute à lui. Cette sensibilité ardente était affinée et guidée par l’intelligence la plus vive : j’entends une intelligence très différente de la sorte d’intuition qui suffit à beaucoup d’acteurs excellents. Ce n’est pas elle qui se plaisait à substituer sa personnalité à celle de l’auteur ; elle avait le souci