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c’est qu’ils ont senti obscurément que le terrain était mauvais sous leurs pas, et qu’il y a quelque chose contre quoi nulle majorité ne peut décréter, sauf à se discréditer elle-même : le bon sens, le sens commun.

Rien ne démontre mieux à quel point les bienfaits de l’heure d’été se sont imposés, que le tableau des périodes successives pendant lesquelles, depuis 1916, — première année de l’application, — cette heure a été appliquée chez nous.

En 1916, la période d’application s’est étendue du 15 juin au 1er octobre, soit trois mois et demi ; en 1917, du 25 mars au 7 octobre, pendant près de six mois et demi ; en 1918, du 10 mars au 6 octobre, pendant quinze jours de plus ; en 1919, du 2 mars au 5 octobre, pendant encore huit jours de plus ; en 1920, du 15 février au 25 octobre, pendant huit mois et dix jours ; en 1921, du 15 mars au 26 octobre, pendant sept mois et dix jours ; en 1922, du 26 mars au 8 octobre. Ainsi l’heure d’été a rapidement gagné du terrain jusqu’à commencer bien avant le printemps et à finir en plein automne.

Un des grands arguments que continuent à prodiguer ses adversaires est que l’heure d’été n’est pas scientifique, ce que serait au contraire l’heure d’hiver. C’est une erreur profonde, l’une n’est ni plus ni moins scientifique que l’autre. Depuis qu’il a fallu renoncer à l’heure solaire vraie, qui est, en chaque lieu, l’heure indiquée par le cadran solaire, — et on y a renoncé parce que le soleil a une marche apparente irrégulière qui donne au jour vrai des durées inégales et variables d’un bout de l’année à l’autre ; depuis qu’on a substitué à l’heure vraie l’heure moyenne qui est celle donnée par un soleil fictif circulant d’un mouvement uniforme à l’inverse du soleil vrai ; depuis qu’à l’heure moyenne locale, c’est-à-dire propre à chaque lieu, ou plutôt à chaque méridien, on a substitué une heure légale unique par toute la France ; depuis que cette heure légale nationale, qui était d’abord l’heure moyenne du méridien de l’Observatoire de Paris, est devenue celle du méridien de Greenwich, qui retarde sur la précédente de 9 minutes et 21 secondes ; depuis que tous ces changements se sont effectués, le public s’est habitué à comprendre que l’origine des heures (sinon leur durée) est une chose extrêmement arbitraire et qui n’a rien de proprement scientifique. On peut donc s’étonner de voir revenir un argument, qui se prétend, à tort, fondé sur la science et qui, pour avoir beaucoup servi, n’en est pas pour cela plus valable.

Prenons un exemple. A la date où parait ce numéro de la Revue des Deux Mondes, le 15 avril 1923, le soleil passe au méridien de Paris