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le prouve depuis des siècles. — totalement indifférente à la manière légale de mesurer le temps.

Or, en ce qui concerne la vie des citadins, il est un fait unanimement constaté : c’est qu’en grande majorité ils se lèvent après le soleil et se couchent également après lui. Bref, à d’infimes exceptions, si on compare les heures où se lèvent et se couchent les citadins à celles où se lève et se couche, — en quelque saison que ce soit, — le soleil, on constate que la journée des citadins est en retard sur celle du soleil, et qu’on vit beaucoup plus après le coucher du soleil qu’avant son lever.

C’est un fait certain, établi, incontestable. Il provient manifestement de ce que les gens, pour des raisons qu’il y aurait lieu de rechercher, ont beaucoup plus de répugnance, généralement, à se lever qu’à se coucher lorsque règne l’obscurité, à se lever avant le soleil qu’à se coucher après lui. C’est un fait, d’ailleurs difficile à expliquer, mais c’est un fait.

Benjamin Franklin déjà l’avait remarqué, puisqu’il disait en 1784 : « Faites donner toutes les cloches des églises au lever du soleil et, si cela ne suffit pas, faites tirer un coup de canon dans chaque rue pour ouvrir les yeux des paresseux sur leurs véritables intérêts... »

Si les citadins qui n’aiment pas se lever avant le jour se levaient en même temps que celui-ci, l’heure d’été eût été sans objet. User de la lumière artificielle pendant un nombre déterminé d’heures, que ce soit avant le jour ou après la tombée de la nuit, serait en effet indifférent. Mais il est arrivé que la répugnance générale à se lever avant le jour a entraîné des conséquences excessives : on a pris peu à peu l’habitude urbaine de se lever non pas avec le jour, mais bien après celui-ci. Lorsque la plupart des citadins sautent du lit en été, il y a beau temps, il y a des heures que le soleil est levé. Et ces citadins-là qui naturellement ne dorment que le nombre d’heures nécessaires à l’homme, huit heures en moyenne, vivront d’autant plus tard, la nuit tombée, à la lumière artificielle, qu’ils se sont levés plus tard après le soleil. Double conséquence fâcheuse : 1° la dépense de combustible et d’énergie nécessaire à l’entretien de cette lumière artificielle sera augmentée d’autant ; c’est cette considération surtout qui a fait adopter l’heure d’été pendant les dernières années de la guerre où le charbon nous manquait ; 2° les citadins qui pratiquent ces errements, c’est-à-dire la majorité d’entre eux, perdent le bénéfice de plusieurs heures de soleil ; or on sait que celui-ci y est le grand régulateur de la santé humaine, le grand microbicide, le puissant guérisseur de