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retourner devant Paris. Elle affirmait, par son Martin, que jamais elle n’en partirait sans avoir la ville [1]. »

Déjà, les trompettes sonnaient le boute-selle, lorsqu’arriva à la Chapelle un message du roi : c’était un ordre formel au duc d’Alençon et aux autres capitaines de ramener la Pucelle à Saint-Denys. « Très marris » — affirme un vieux serviteur du duc d’Alençon, — Jeanne et le duc se soumirent à la volonté du Roi. En leur pensée, toutefois, ils ne renonçaient point à Paris et comptaient seulement l’aborder sur un autre point.

Quinze jours auparavant, dès leur arrivée à Saint-Denys, ils avaient eu soin de faire jeter un pont volant sur la Seine. Ainsi, par la rive gauche, en remontant le fleuve par Asnières, Courbevoie, Puteaux, Suresnes, Saint-Cloud et Sèvres, on pourrait, pensaient-ils, attaquer de nouveau par les portes de Nesle ou de Bucy. De ce côté, les bouillants « escholiers » de l’Université seraient moins hésitants peut-être que les paisibles bourgeois de la Ville.

L’Université et Chuffart son chancelier étaient, il est vrai, livrés au parti anglo-bourguignon ; mais les écoliers, volontiers indépendants, ne suivaient pas toujours très docilement les directions politiques de leurs maîtres. Qui sait si une attaque, partie de leur cher Pré-aux-Clercs, ne les verrait pas sortir en masse jusqu’à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés pour y acclamer l’armée du Roi ? Dans ce même quartier, les moines de Cluny n’avaient-ils pas, avec une courageuse obstination, toujours refusé de prêter serment au roi d’Angleterre [2] ?

De ce côté, d’ailleurs, loin de se trouver, comme sur la rive droite, en face d’une muraille de construction récente et conçue déjà en vue de la défense contre la nouvelle artillerie, on n’avait devant soi qu’une ligne de fortifications démodées, vieilles de plus de deux cents ans, l’enceinte de Philippe-Auguste [3].

En face de Saint-Denys, des postes français occupaient déjà une partie de la rive gauche [4] et protégeraient la marche de

  1. Perceval de Cagny. Ayroles, III, 192.
  2. Aug. Bernard, Refus des moines de Cluny, etc... Revue des Sociétés savantes, 1867.
  3. L’enceinte de Philippe-Auguste est encore parfaitement marquée sur la rive gauche par une suite continue de rues tracées sur ses fossés. Certains pans de murs existent même encore.
  4. Voyez G. Lefèvre-Pontalis, Un détail du siège de Paris par Jeanne d’Arc. In-8°, 1885. Bibliothèque nationale. Lh5, 1162.