Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/915

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mirent le feu à la grange des Mathurins [1], près des Porcherons. Ils jetèrent dans les flammes, ainsi que faisaient jadis les païens à Rome, ceux de leurs gens morts à l’assaut, qu’ils avaient troussés en grand nombre sur leurs chevaux. »

Durant cette retraite, les défenseurs anglo-bourguignons de Paris s’efforçaient, à l’aide de l’artillerie puissante qu’ils avaient eu soin de placer à la porte Saint-Denys, de porter le désordre dans les rangs français : « Ceux de Paris,-— dit encore Chuffart, — avaient de grands canons qui largement atteignaient de la porte Saint-Denis jusqu’au delà de Saint-Lazare. Ils leur tiraient au dos, ce dont ils furent épouvantés... Mais personne ne sortit de la ville pour les suivre, de peur des embûches [2]. » De la porte Saint-Denys à Saint-Lazare (hôpital et prison actuels), la distance est d’environ sept cents mètres. Nous pouvons ainsi connaître la portée extrême de la grosse artillerie d’alors.

Cependant, souffrant moins de douleur physique que de tristesse morale, Jeanne blessée était ramenée en ce lieu, que, le matin même, elle avait quitté avec tant d’espoirs, à la Chapelle, au logis de Sainte-Geneviève ! Les murs de ce logis qu’on montre encore aujourd’hui, n’ont, — tout vieux qu’ils soient, — certainement pas vu Jeanne d’Arc et ne remontent guère qu’à un ou deux siècles ; mais ils s’élèvent sur l’emplacement où, le soir du mercredi 7 septembre 1429, la sainte Pucelle reposa, confiante en la victoire, où joyeuse elle se leva de grand matin, le jour de la nativité Notre-Dame, pour aller, en l’église toute voisine, ouïr la messe et « recevoir le précieux corps de Jésus-Christ ; » où elle fut enfin ramenée le soir blessée, avec la douleur de voir son œuvre divine traversée par l’aveugle volonté des hommes.


VIII. — LE ROI REFUSE PARIS

Dans ce pauvre logis, Jeanne ne dormit guère et l’aube d’un bien triste jour l’éveilla : « Le vendredi 9 septembre, — écrit un de ses plus fidèles compagnons, — la Pucelle, quoiqu’elle eût été blessée le jour précédent, se leva bien matin et fit venir son beau duc d’Alençon par lequel elle donnait ses ordres. Elle le pria de faire sonner les trompettes et de monter à cheval pour

  1. Le nom de la rue de la Ferme des Mathurins en rappelait l’emplacement (aujourd’hui rue des Mathurins).
  2. Journal d’un Bourgeois de Paris. Ayroles, III, 521.