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sa visière pour voir à ôter le vireton, et un autre le vise, le saigne entre les deux yeux et le blesse à mort. Ce dont la Pucelle et le duc d’Alençon jurèrent qu’ils auraient mieux aimé perdre quarante des meilleurs hommes de leur compagnie [1]. »

L’auteur de ce récit, Chuffart, n’était certes pas sur le rempart ; très vraisemblablement, dans sa chambre bien close de l’Université, il tremblait en sa robe fourrée de Chancelier intrus. Le récit qu’il nous transmet est donc celui de quelque soudard fanfaron, et la gravité de la blessure de Jeanne y semble singulièrement exagérée.

Quoique perdant son sang en abondance, la Pucelle refusait de quitter la place ; rien ne pouvait l’arracher à sa mission ; mais les seigneurs jaloux s’empressèrent, sous apparence de sollicitude, de tirer parti contre elle de sa blessure :

« Après qu’elle eut été atteinte, — rapporte un des témoins mêmes du combat, — elle s’efforçait plus fort de dire que chacun s’approchât des murs et que la place serait prise. Mais parce qu’il était nuit, qu’elle était blessée et que les gens étaient lassés du long assaut, le sire de Gaucourt et autres vinrent prendre la Pucelle et, contre son vouloir, l’emmenèrent hors des fossés. Elle avait grand regret et disait : « Par mon Martin, la place eût été prise ! [2] »


VII. — RETRAITE VERS LA CHAPELLE SAINT-DENYS

En cette journée où l’on bataillait pour lui, le Roi n’avait même pas daigné quitter Saint-Denys. Etonnés d’une telle indifférence, les soldats commençaient à murmurer : « L’on disait, — écrit un contemporain, — que, par lâcheté de courage, le Roi n’avait pas voulu prendre Paris d’assaut [3]. »

Blessée et emmenée malgré elle hors des fossés, Jeanne, la nuit venue, dut se résigner à ordonner la retraite. On laissa sur place fascines et échelles. Quant aux charrettes, quelques-unes servirent à l’enlèvement des blessés ; les autres, abandonnées et trouvées le lendemain matin par les gens de Paris, demeurèrent, avec échelles et fagots, les seuls trophées des Anglo-Bourguignons [4]. Le triste Chuffart prétend que « en s’en allant, ils

  1. Journal d’un bourgeois de Paris. Ayroles, III, 521.
  2. Chronique de Perceval de Cagny. Ayroles, III, 191-92.
  3. Chronique de la Pucelle. Ayroles, III, 109.
  4. Registres du chapitre de Notre-Dame. Ayroles, III, 532,