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qui poussèrent un cri en toutes les parties de la ville, de çà et de là les ponts, criant que tout était perdu, que les ennemis étaient entrés dans Paris et que tout le monde se retirât et fit diligence de se sauver. Et à cette voix... tous les gens étant lors ès sermons sortirent des églises de Paris, furent très épouvantes et se retirèrent pour la plupart en leurs maisons [1]. »

En leurs maisons ces braves gens n’attendaient que le succès de l’assaut. Celui-ci était certain : « Ceux du dedans, — écrit un autre contemporain, également du parti anglais, — avaient comme abandonné la défense du mur, et les assaillants étaient si près du rempart qu’il ne fallait que dresser les échelles, dont ils étaient bien pourvus, pour qu’ils eussent été dedans [2]. »

Dresser les échelles ! tout était là. On en avait six cents ; mais, pour les dresser, il fallait combler le fossé plein d’eau. Or, malgré les ordres, les encouragements, les prières même de la Pucelle, les fascines n’arrivaient point. Des ordres contraires à ceux de Jeanne semblaient vouloir en annuler les effets. Parmi les grands seigneurs de l’armée, quelques jalousies commençaient en effet à germer contre cette paysanne Lorraine qui prétendait les commander : « Il y en avait audit lieu, — dit un contemporain en contant cet assaut, — qui eussent bien voulu, par envie, qu’il fut meschu (arrivé mal) à la dite Jeanne [3]. »

Déjà la journée s’avançait, le soleil était à son déclin ; la nuit allait tomber bientôt. Mais Jeanne était bien résolue à passer sur place, s’il le fallait, la nuit tout entière.

Un des Français qui se faisaient alors les serviteurs de l’Anglais, l’indigne successeur de Gerson, Jean Chuffart, note à ce moment dans son journal : « Là était leur Pucelle avec son étendard, sur le dos d’âne des fossés. Elle disait à ceux de Paris : « Rendez-vous à nous promptement, de par Jésus ! Car si vous ne vous rendez pas avant la nuit, nous entrerons par force et, que vous le vouliez ou non, vous serez tous mis à mort. — « Vraiment, répondit quelqu’un, paillarde, ribaude ! » et il lui envoie droit un trait de son arbalète, qui lui perce la jambe d’outre en outre, et elle dut s’enfuir. « Un autre perça d’outre en outre le pied de celui qui portait son étendard. Quand celui-ci se sentit blessé, il leva

  1. Notes de Fauquemberghe sur les registres du Parlement. Ayroles, III, 478.
  2. Le notaire Pierre Cochon. Ayroles. III, 472.
  3. Chronique de la Pucelle. Ayroles, III, 108.