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clochers, en chœur ou tour à tour, en notes claires ou graves, précipitées ou lentes, égrenaient joyeusement dans l’air le long chapelet de leurs carillons.

Tout cela, Jeanne, en son éclatante armure, le contemplait, l’écoutait, ravie et confiante. Elle serrait avec amour en sa main son étendard, ce victorieux emblème dont la vue enflammait le cœur des soldats : blanc, semé de fleurs de lys d’or ; sur le fond se détachait, avec les noms de « Jhesus, Maria, » la grande image de Notre-Seigneur tenant en main le monde, et ayant à ses pieds deux anges à genoux [1].

Cette bannière avait délivré Orléans, triomphé à Patay, conduit le roi à Reims ; elle ne connaissait pas l’insuccès. Ce soir même, la Pucelle et toute son armée en avaient l’espérance et la foi, c’est elle encore qui rendrait au Roi cette ville magnifique, glorieuse, sacrée, que Jeanne ravie embrassait du regard.


VI. — L’ASSAUT ; BLESSURE DE LA PUCELLE

Vers onze heures ou midi, tous les préparatifs étant achevés, Jeanne avec les seigneurs qui la suivaient voulut aller reconnaître le lieu où, après la préparation de l’artillerie, elle livrerait l’assaut. Elle tint toutefois à dégager, avant tout, les abords de la porte : par son ordre, un brave gentilhomme dauphinois, le sire de Saint-Vallier, à la tête d’une troupe hardie, s’empara du « boulevard, » ouvrage de palissades et de terre défendant les approches extérieures, puis avec la poix apportée par les charrettes, incendia la barrière de bois construite par la défense en avant du pont fixe de l’arrière-fossé. Brillant succès, heureux présage de victoire !

Dans la ville, la grand messe s’achevait et la foule emplissait encore les églises.

Sur la muraille venaient par troupes se ranger les soldats anglais et bourguignons, affectant, en parcourant le chemin de ronde, de faire ostensiblement flotter leurs enseignes, portant très haut surtout celle qui était le signe de ralliement et l’emblème de leur parti : une grande bannière blanche, barrée en sautoir d’une large croix vermeille [2]. Ces airs fanfarons

  1. Description de l’étendard. Interrogatoire de Jeanne au procès. Ayroles, IV, 34. Et Chron. de Morosini, ibid., III, 585.
  2. Chronique de Jean Chartier. Ayroles, III, 167.