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Place Vendôme, est un dernier vestige de cette antique voie.

En débouchant du chemin d’Argenteuil, Jeanne, face à la porte Saint-Honoré, pouvait, en avant du double fossé, apercevoir, sur sa droite, de vastes terrains occupés jusqu’au fleuve par des Tuileries, et, sur sa gauche, un autre terrain, également découvert : « le Marché-aux-Pourceaux. » C’est dans le Marché-aux-Pourceaux que, à mesure de leur arrivée, Jeanne fit ranger les troupes, les mettant à l’abri du tir de la ville derrière une haute butte dominant le terrain. Au sommet de cette butte [1], la Pucelle fit trainer ses canons ; on les déchargeait des chariots pour les mettre en batterie sur la terre même, les pointant vers le but à atteindre à l’aide de cales de bois qui leur donnaient l’inclinaison voulue.

Derrière la butte du Marché-aux-Pourceaux, les troupes françaises, bien placées pour parer à toute sortie ennemie venant de la porte Saint-Denys, se trouvaient aussi, suivant l’affirmation d‘un contemporain, hors d’atteinte des « canons, veuglaires et couleuvrines [2] » du rempart. Bien faible portée, même pour ce temps : Jeanne avait su choisir le point des murailles le moins puissamment garni et éviter les redoutables défenses de la porte Saint-Denys.


V. — PARIS ET SES CLOCHERS

Afin de diriger l’attaque, tout voir de ses propres yeux, préparer l’assaut et y prendre part, Jeanne avait mis pied à terre. Pour un homme d’armes revêtu de l’armure complète, aller à pied était à peu près impossible ; Jeanne qui, peu à peu, s’était faite à un accoutrement de guerre si nouveau pour elle, eut donc à se démunir au moins des « solerets » à lamelles de fer qui protégeaient ses pieds, peut-être même de ses jambières. Du haut de la butte sur laquelle s’installait son artillerie, elle pouvait, le cœur plein d’une joyeuse émotion, contempler de loin, par-dessus la muraille, ce Paris qu’elle allait rendre à son Roi.

Un peu au delà de la porte Saint-Honoré et de l’église qui donnait son nom et à cette porte et à la rue tout entière, Jeanne voyait pointer les nombreuses tours du Louvre, de ce vieux

  1. Dite Butte des Moulins depuis le seizième siècle. En partie aplanie par le percement de l’avenue de l’Opéra. La rue des Moulins actuelle en est un vestige.
  2. Journal du Siège d’Orléans, Ayroies, III, 140.