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sommé d’un haut toit à quatre pans. Attaché extérieurement à la porte par ses chaînes, un pont-levis franchissait un premier fossé rempli d’eau ; un peu plus loin, un pont fixe franchissait l’arrière-fossé moins profond, et à sec.

Aux ordres de Jeanne, les colonnes se mirent en marche et, de Montmartre à Aubervilliers, commencèrent à serpenter sur les chemins. Avec les troupes marchait le convoi de matériel ; trois cents chariots à quatre roues, traînés à bras d’hommes [1] et chargés de poix pour incendier les défenses et barrières extérieures, de fascines et de claies pour combler les fossés, et d’échelles pour l’assaut. Enfin, plus pesants encore, les canons.

L’étonnante rapidité de l’artillerie moderne était bien inconnue à celle d’alors : loin de se déplacer au galop, celle-ci se traînait avec peine, lentement, pas à pas ; ses canons, qu’on n’avait pas encore songé à mettre en équilibre sur des affûts à roues, n’étaient que d’énormes tubes, renforcés de grosses bagues de fer munies d’anneaux. Fallait-il les faire mouvoir, on passait des cordes dans les anneaux, et une nombreuse équipe d’hommes vigoureux soulevait ces lourdes masses pour les charger avec effort sur les chariots destinés à les transporter.

Avec les canons, marchaient les charrettes portant barils de poudre, boulets de pierre, et aussi les nombreux outils nécessaires, tant pour la charge de ces encombrantes machines que pour le terrassement qui les devait recevoir.


Aux ordres donnés, tout cela, ponctuellement, avec méthode, dans un bruit sourd de roues, avec d’aigres grincements d’essieux, roula ensemble sur les chemins.

A huit heures du matin [2], Jeanne quitta la Chapelle et descendit vers Paris. Après avoir atteint la maladrerie de Saint-Lazare et longé le mur de son enclos, tournant à droite, par l’étroit chemin qu’on nommait « Chemin de Paradis [3], » elle gagna la route plus large qui coupait celui-ci et, de la ville d’Argenteuil, par Asnières et Clichy, conduisait à la porte Saint-Honoré. La rue actuelle d’Argenteuil, si curieusement sinueuse en ce rectiligne quartier du Palais-Royal et de la

  1. Registres des délibérations du chapitre de Notre-Dame. Ayroles III, 640.
  2. Chron. de Perceval de Cagny. Ayroles, III, 191.
  3. Les rues de Paradis et Saint-Lazare actuelles. Voy. E. Eude, L’Itinéraire de Jeanne d’Arc (Revue des Etudes historiques, janvier-mars 1916).