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charge, qu’il exerçait, en fait, depuis l’établissement à Paris du régime anglo-bourguignon, le véritable titulaire, Jean Gerson, ayant préféré l’exil. Dans la chaire de Gerson !... Chuffart !

Aux paroles des gens de robes les hommes de guerre, pour la défense, préféraient le canon. Le canon ! ce terrible engin, d’invention récente qui, dans un effroyable éclatement de poudre, au milieu des flammes et de la fumée, lançait, beaucoup plus loin que les plus puissantes balistes, d’énormes boulets de pierre. Par ordre des chefs anglo-bourguignons, tout le pourtour des murs de Paris fut donc garni de cette artillerie nouvelle. Le point le plus menacé semblait être la porte Saint-Denys, face à l’antique cité occupée par la Pucelle.

La porte Saint-Denys était la plus importante peut-être de Paris par sa situation, la plus sacrée par ses souvenirs : dressée sur l’antique voie romaine par laquelle la cité de Lutèce communiquait avec la Gaule Belgique, elle portait le nom du saint martyr dont le sang avait christianisé Paris. Pour qui venait du Nord, c’était la principale entrée de la ville. Depuis quarante ans, que de cortèges, joyeux ou menaçants, étaient passés par là ! En 1389, c’était l’entrée, si heureuse d’apparence, si néfaste en réalité, de la jeune reine Isabeau de Bavière [1]. Plus récemment encore, c’est par cette porte, — il y avait alors neuf ans, — que le duc de Bourgogne avait si malheureusement introduit dans Paris les gens du roi d’Angleterre.

C’est à la porte Saint-Denys qu’en vue d’une imminente attaque, les chefs anglo-bourguignons jugèrent prudent d’accumuler leurs plus puissants moyens de défense, des canons géants, pièces qui, à plus de trois cent cinquante toises, pouvaient envoyer, au delà de la maladrerie de Saint-Lazare (la prison actuelle) leurs lourdes masses de pierre. En toute hâte furent mis à l’œuvre les « tailleurs de pierres pour canons ; » un nommé Hilaire Caillet, à lui seul, fit onze cent soixante seize « boules de canon. » Mais, quand le bon ouvrier réclama son salaire, les Anglo-Bourguignons le réduisirent de moitié [2] . En

  1. Voy. Comte P. Durrieu. Une miniature du manuscrit de Froissait de Breslau. Bulletin de la Société de l’histoire de Paris, 1916. El, du même auteur : la Miniature flamande au temps de la cour de Bourgogne, in-4°, Bruxelles et Paris, 1922, pl. XLIX. Miniature représentant la Porte Saint-Denis et l’enceinte de Charles V en 1385.
  2. Journal d’un bourgeois de Paris. Édition A. Tuetey, p. 243. Note relatant une pièce manuscrite. Arch. Nat., Xe, 4796, fol. 239-41.