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Au bruit de ces combats, les bourgeois, dans Paris, étaient tremblants : « n’osoit homme issir pour vendanger vigne ou verjus, — note un Parisien en son journal, — ni aller aux marais pour rien cueillir ; dont tout enchérit bientôt [1]. » Une pauvre femme, ignorant le danger, s’exposa pourtant un jour entre les combattants. C’était une nommée Michelette, veuve de feu Guillaume le Bossu. Ayant sa mère à sa charge et possédant, pour toute fortune, sur le territoire de Chaillot, une vigne dont le revenu était son seul moyen d’existence, elle prenait grand soin d’en surveiller la récolte. Cette année-là, afin de préparer d’avance une vendange pour elle si précieuse, elle était allée, dès le mois de juillet, s’installer, à proximité de son bien, à Longchamp, hameau dont les rues actuelles de Longchamp et du Bouquet de Longchamp commémorent le souvenir. Vers le 1er septembre, comme les troupes du roi Charles VII occupaient depuis six jours la région, elle crut prudent de se rendre à Saint-Denys, près de ses chefs, pour obtenir d’eux la permission de vaquer tranquillement à ses affaires. Hélas ! au retour, cette pauvre femme eut la malchance de tomber dans une patrouille anglaise ! Ramenée à Paris, fouillée et trouvée en possession, — constate le procès-verbal, — « d’un sauf-conduit de nos ennemis, » elle fut, pour ce crime, aussitôt jetée aux prisons du Louvre [2].

Les gouvernants de Paris faisaient courir les bruits les plus terrifiants : le roi Charles, disait-on tout bas, avait juré de faire passer la charrue sur Paris ! Des gens fort graves, comme le greffier du Parlement, enregistraient ces bruits, avec quelques expressions de doute, il est vrai [3]. D’autres, beaucoup plus violents, pour se donner du cœur contre cette Pucelle tant redoutée, l’accablaient d’injures : « une créature en forme de femme, » disait l’un des plus haineux, ajoutant, sur un ton plus méprisant encore : « Ce que c’était, Dieu le sait [4]. » Cet insulteur n’était autre que le Chancelier de l’Université, Jean Chuffart, tout récemment élevé de façon officielle à cette haute

  1. Journal d’un Bourgeois de Paris (1405-49 , édition A. Tuetey. Société Hist. de Paris, in-8° 1881, p. 243, Ces « marais » étaient les jardins maraîchers entourant la ville.
  2. A. Longnon, Paris pendant la domination anglaise (1420-38). Documents extraits de la Chancellerie de France, Soc. Hist.de Paris, in-8°, 1878, p. 298.
  3. Notes de Clément de Fauquemberghe sur les registres du Parlement. Ayroles, III, 479.
  4. Journal d’un Bourgeois de Paris. Ayroles, III, 320.