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Doutes et sourires durent pourtant cesser lorsque, sous la conduite de la paysanne lorraine, en mai fut délivrée Orléans, et qu’en juillet le Roi fut sacré à Reims. « Nous pouvons bien dire, — écrit alors de la Cour de Bourgogne, à Bruges, un jeune voyageur vénitien, — que, de nos jours nous avons vu des choses très miraculeuses... Que le Christ donne secours au droit, et que ce soit pour le bien de tous [1]. »

Après le sacre, le Roi n’agit qu’à gagner Paris : partout sur son passage les villes lui apportaient à l’envi, en solennels cortèges, sur des coussins, les clefs de leurs portes. A Paris le peuple, dans sa haine des Armagnacs, criait bien toujours : « Vive Bourgogne ! » mais l’occupation anglaise, brutale, tracassière, avide, ne lui plaisait point et l’avait dégoûté de ceux que, d’après leur habituel juron « goddam, » il appelait « les Goddons. » La Pucelle comptait donc sur une facile entrée à Paris. Quant aux chefs anglo-bourguignons, ils étaient tellement inquiets de ces sentiments populaires que, dans la crainte de voir, au moment de l’approche de l’armée royale, le peuple se porter à sa rencontre, ils défendirent à qui que ce fut, sous n’importe quel prétexte, de sortir de la ville [2].

La foire Saint Laurent qui, tous les ans, au mois d’août, se tenait à quelque distance de la porte Saint-Martin, en pleins champs, en face de l’église Saint-Laurent desservie par les religieux de Saint-Lazare tout voisins, attirait hors des murs une foule joyeuse. Un service solennel, célébré le jour de la Saint-Laurent (10 août)’, inaugurait la fête. Elle promettait, cette année, d’ètre tout particulièrement brillante, car l’église nouvelle qu’en style français flamboyant venaient de faire reconstruire les religieux de Saint-Lazare, avait été tout récemment consacrée [3].

Mais la Pucelle était à Château-Thierry ; tout rassemblement hors des murs pouvait être dangereux ; aussi, dès la veille de la Saint-Laurent, la porte Saint-Martin fut rigoureusement fermée

  1. Lettre de Pancrare Giustiniani à son père, dans la Chronique de Morosini, publiée par J.-B. Ayroles, la Vraie Jeanne d’Arc ; et G. Lefèvre-Pontalis, Chronique de Morosini, 4 vol. in-8. Société de l’Histoire de France.
  2. Ibid., dans Ayroles, III, 597.
  3. C’est l’église de Saint-Laurent actuelle, à laquelle on a toutefois, lors du percement des boulevards de Strasbourg et Magenta, donné un portail neuf imitant le style ancien. Pastiche très habile et gracieux, sauf pour la statuaire, qui ne s’imite pas.