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très pathétique, mais, par suite de la mauvaise acoustique de la place, il ne m’en revient que des lambeaux de phrase, des grands mots tels que : « Notre Empereur aimait la paix ! Nos ennemis voulaient la guerre ! » Et encore : Frieden, Gott, Sieger. Du reste il n’abuse pas de notre patience. A peine a-t-il terminé sa péroraison par une invocation au Dieu des victoires que la musique attaque un choral : tout le monde écoute en silence. Alors Falkenhausen secoue son immobilité et d’une voix bien articulée, cinglante comme un coup de fouet, il harangue les troupes, puis il déplie un message télégraphique de l’Empereur dont il fait la lecture. Tout se termine par un triple hoch. Au même instant, une taube, qui sans doute épiait le moment, fait plusieurs fois le tour de la place. Pendant ce temps, Falkenhausen fait une distribution de croix de fer qu’il puise dans une caisse que lui présente un officier, et chacun des bénéficiaires est honoré d’un vigoureux shake-hand du général.

J’attendais toujours qu’on célébrât la messe, ainsi que, paraît-il, cela s’était fait l’an passé, mais tout à coup retentissent de toute part des commandements brefs et saccadés, et je vois les colonnes qui se mettent en marche. Finita la Commédia !

Mme B. qui, pendant toute la durée de la cérémonie, n’a cessé de faire des commentaires peu charitables pour le héros de la fête, nous a versé des petits verres d’un cassis de sa fabrication ; je trinque avec ces demoiselles à la victoire prochaine de la France, puis je dégringole en bas des escaliers. Arrivé sur la place, je vois qu’il y a un rassemblement devant la maison : il parait qu’un amateur avait installé un appareil à photographie dans une lucarne au-dessus de ma mansarde ; un officier, l’ayant aperçu d’en bas, l’avait signalé à un sergent de ville qui avait appréhendé au passage le délinquant, et confisqué ses plaques. Il ignorait qu’il fallait une autorisation de la A. A. F. pour avoir le droit de photographier, à moins d’être officier.

Dans la rue de la Mésange, il y a foule pour escorter les régiments qui rentrent à la caserne. C’est pourtant un spectacle qui, à force de se répéter, devrait être devenu banal, mais il n’y parait pas. Le civil fait la haie sur les trottoirs pour admirer au passage la Jugendwehr qui exhibe avec fierté ses uniformes khaki, mi-sportsmen, mi-soldats. Pas un seul de tous ces Allemands qui ne soit persuadé que la victoire est à eux : on le voit à la