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laissant libre un long quadrilatère que divisent en forme de croix trois sentiers de tapis étendus sur le sol, et qui mènent à l’autel.

Un tapis plus somptueux désigne.la place réservée au grand lama, autrement dit von Falkenhausen. En attendant, les comparses s’entretiennent, je suppose, de la pluie et du beau temps. J’ai tout le loisir de les passer entrevue.

Il y a d’abord l’Armeeoberpfarrer catholique, très entouré d’officiers de tout grade. Engoncé dans un manteau militaire qui, à partir des genoux, laisse à découvert la soutane, il a l’air passablement grotesque, mais la casquette à visière, dont il est coiffé, achève de faire de lui un personnage absolument ridicule. Je dois dire qu’il n’est pas responsable de cet uniforme, et que sa personnalité m’est très sympathique : dans la situation difficile où la guerre l’a mis, il a rendu d’éminents services à beaucoup de ses confrères du clergé compromis par des manifestations intempestives. Son collègue protestant a, sauf quelques détails, le même accoutrement. Je ne remarque pas de rabbin, c’est évidemment une lacune.

Un remue-ménage qui se produit dans la foule, fait prévoir l’arrivée de Falkenhausen, et je le vois en effet s’avancer, facilement reconnaissable à son large collet rouge et aux grosses torsades de ses épaulettes : la tête au nez busqué, très colorée dans l’encadrement que lui fait sa barbe blanche. Présentations, salamalecs, poignées de main, gratulations, effusions, le tout accompagné de cliquetis de sabres et d’éperons.

Il prend sa place au beau milieu du tapis, face à Kléber, le pied droit en avant, immobile et figé dans une pose de statue.

Aussitôt tous les officiers qui jusque-là étaient réunis par petits groupes autour de l’autel vident la place, et il ne reste plus en présence que les deux aumôniers. Placés en symétrie aux deux coins de l’autel, ils attendent pour entrer en scène la fin d’un choral exécuté par la musique. Je croque, en passant, la silhouette et le geste cocasse du chef de musique.

Falkenhausen, qui sent probablement sa jambe gauche s’ankyloser, change de pied, et le pasteur, après le petit toussotement de rigueur, débite une homélie à laquelle je ne comprends rien.

C’est maintenant le tour de l’aumônier catholique. D’une voix forte, il déclame son allocution. Je crois deviner qu’elle est