Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La tête rejetée en arrière, la poitrine cambrée, il est vraiment crâne, et toute son attitude paraît protester contre les oripeaux dont il est entouré. Il a l’air de dire : « Que me veulent donc ces gens ? Je n’ai rien de commun avec eux. F...-les moi dehors ! »

Devant le piédestal on a dressé un autel : au centre un crucifix flanqué de quelques candélabres, ceci pour les catholiques ; au-dessous du Christ la Bible, ceci pour les protestants ; la guerre a réalisé l’union des cultes dans la confession d’une seule et même foi en la suprématie et en la mission divine de la race allemande contre laquelle ne prévaudront pas toutes les forces réunies de l’enfer, c’est-à-dire des Français, Anglais, Russes, Italiens, etc. Cet appareil religieux produit un effet un peu disparate aux pieds du général de la République. Celui-ci domine de sa taille gigantesque le petit crucifix et personnifierait parfaitement le dieu de la guerre... s’il n’était, avec plus de raison, l’emblème de la victoire française.

Ce n’est évidemment pas sans une intention narquoise que, pour fêter l’anniversaire du Kaiser, les Allemands ont porté leur choix sur une place consacrée au souvenir français, et où, il y a deux ans à peine, nos étudiants alsaciens organisaient leurs monômes de protestation. La Kaiser-Wilhelmstrasse, avec les vastes espaces qui entourent le monument de l’Empereur, eût formé un cadre plus en harmonie avec la fête ; mais ils tenaient sans doute à bien affirmer leur possession à la barbe du vainqueur de Héliopolis.

Lui, le regard fixé vers le lointain, n’a pas l’air de voir la fourmilière qui s’agite à ses pieds, et quand par hasard les oriflammes rouge, blanc, noir qu’agite le vent, menacent de lui voiler la face, d’un mouvement énergique des épaules il les rejette avec mépris.

Il n’est plus éloigné, — et peut-être plus proche qu’on pense, -— le moment où de tous ces balcons flotteront d’autres étendards et où de toutes parts s’élèveront les cris de : Vive la France ! Vive la liberté !

De toutes les rues débouchent peu à peu des régiments, infanterie et artillerie ; ils se frayent un passage à travers la foule qui reflue vers les extrémités de la place. Les soldats sont en tenue de campagne, tous uniformément vêtus de leurs manteaux gris. Ils se placent en rangs serrés autour du monument.