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Laugel : c’étaient tout de même d’autres types que les Schimmelmann et les Bieberstein. » Le curé me dit : « Ce qui fait la force des Allemands, c’est le simple soldat. J’ai entendu nos hommes à confesse ces jours-ci : eh bien ! je vous assure, ce sont de braves gens, mais de tout à fait braves gens. »


UNE FÊTE DE RÉGIMENT

Quelques jours après, le colonel invite M. Spindler à assister au Regimentsfest : les soldats doivent représenter le Camp de Wallenstein de Schiller dans une clairière de la forêt.


10 mai 1915. — Les enfants se promettent monts et merveilles d’une représentation théâtrale en plein air et, pour leur faire plaisir, je me mets en route avec eux. Dans la forêt, on n’entend aucun bruit, rien qui puisse faire soupçonner la présence de plusieurs milliers de soldats en liesse. Enfin, à un tournant du sentier nous les apercevons, étendus en plein soleil, dans une clairière. Je ne vois ni tonnelet de bière, ni buvette ; dans les feldküchen bout le café. C’est plutôt maigre ! Aussi il n’y a aucune manifestation de joie bruyante et je me glisse à travers les rangs, à la recherche de mon Bieberstein, que je trouve enfin, attablé avec d’autres officiers, sur des bancs rustiques. C’est au milieu d’un fourré de pins rabougris où le soleil tape en plein. Il fait une chaleur caniculaire. Du plus loin qu’il nous aperçoit, le petit homme nous souhaite la bienvenue. Il regrette que ma femme ne lui ait pas fait l’honneur de répondre à son invitation et nous offre une place à sa table. Je me retrouve en pays de connaissance : d’abord le commandant Schimmelmann, dont la tête aux teintes de brique a vraiment du caractère, puis les autres officiers de Saint-Léonard, enfin le curé, le maire, le greffier et l’unique Allemand de la commune, un ancien combattant de 70, qui, ayant épousé une Alsacienne, s’est établi à Bœrsch. Quant à moi, je me demande à quel titre je suis de la fête. Nos autorités municipales ont l’air assez empoté ; mais Bieberstein, le front nu, sur lequel perlent des gouttes de sueur, parle pour dix. Il ne tient pas en place. J’avais fait mine de m’asseoir à côté du curé, mais il y met le holà et m’offre une place à sa droite et me fait aussitôt verser un verre de Maibowle. Le