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Après le café, on passe un gobelet en argent qui contient du kirsch ; à tour de rôle, chacun des convives y trempe ses lèvres. Le curé et moi, nous faisons semblant d’y goûter comme les autres, bien que cette façon de déguster l’alcool nous dégoûte un peu. Ensuite on apporte, dans un broc en cuivre repoussé, « un trophée français, » nous dit Bieberstein, une boisson qu’on allonge avec du champagne, « la boisson favorite du 74e. » On en remplit les verres, et sous l’effet de ce breuvage, la conversation s’anime un peu.

Le colonel parle de la population française des provinces occupées avec laquelle il a été dans les meilleurs rapports. Il ne peut assez dire combien elle était polie : « Ce n’était pas comme ici où l’on sent dans l’air quelque chose d’hostile ; les gens ne vous saluent pas sur les routes ; on nous refuse les égards qui nous sont dus. Voici, par exemple, le régisseur de ce château ; il fait en somme son devoir, ce n’en est pas moins un Français enragé. J’ai dû me chamailler avec lui. Maintenant il me semble être devenu un peu plus raisonnable. » H. est bien loin d’être Français ; tout au contraire. Mais ce qu’exigent les officiers, c’est de la servilité. En France, les malheureux des pays occupés sont à la merci d’un Ortscommandant, qui a sur eux droit de vie ou de mort ; alors, ils préfèrent plier. Ici nous restons encore quelque peu protégés par la loi, nous n’avons pas encore abdiqué toute dignité, et c’est ce que ces messieurs nous reprochent.

M. le curé pose sur Reims quelques questions qui n’embarrassent nullement ses interlocuteurs. Lorsqu’ils ont quitté cette ville, il y a quelques mois, elle était à peu près intacte ; la cathédrale, en revanche, avait une tour furieusement endommagée. Mais ils rendent les Français responsables de ce désastre : « Pourquoi les Français ont-ils fait leurs tranchées à 2 kilomètres devant la ville ? Comme s’ils n’avaient pas pu établir leurs lignes en arrière ! » Il est probable que les Français les ont placées là où ils ont pu. Ce raisonnement est très caractéristique de la mentalité allemande. Toujours la fable du loup et de l’agneau. Ils persistent à dire que les Français avaient placé leurs canons derrière la cathédrale, qu’un officier faisait des signaux du haut de la tour, et qu’il a été descendu par un obus. Et voilà.

Le colonel dit : « Maintenant nous allons définitivement