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des Français qui trouvent, mieux que les Allemands, le ton pour faire leur cour aux dames ..


4 avril 1915. Je rencontre le lieutenant, et fais quelques tours avec lui sur la route. Il me raconte que la déclaration de guerre l’avait surpris au moment où il débarquait d’un voyage d’étude qu’il avait fait en Angleterre ; il n’avait même pas pris le temps de défaire ses malles et était parti... Je lui dis qu’à le voir, on ne le prendrait pas pour un officier de réserve. Il me répond : « J’ai en effet, pour en imposer à mes hommes, pris l’habitude de parler haut et sec, mais au fond, je suis d’une nature trop sensible pour ce métier. Si je vous disais que les premiers jours où nous avons envahi la Belgique, j’ai pleuré des nuits entières comme un gosse, tellement j’étais épouvanté des horreurs de la guerre. »


Le régiment de la garde est bientôt remplacé par des troupes venant de la Champagne. L’état-major d’un régiment, des chevaux, des officiers et quantité de soldats doivent être logés dans les maisons de Saint-Léonard. Après quelques désordres et quelques portes enfoncées, tout le monde se case. Le commandant occupe la maison de M. Laugel.


25 avril. — Je tombe dans la salle à manger sur le commandant qui est déjà installé, en compagnie d’autres officiers, devant une cruche de bière ; sa litewka ouverte permet à son abdomen de développer toute son ampleur, il fume une grosse pipe et m’invite aussitôt à boire avec eux. Je refuse sous prétexte d’occupations pressantes. Le commandant s’appelle von Schimmelmann et a l’air d’un bon type, gros mangeur et gros buveur. Il a la croix de fer, il n’est pas le seul, car je remarque que les autres officiers l’ont aussi... Ils admirent la vue, et je suis obligé de leur expliquer ce que c’est que Saint-Léonard. Quand je leur dis que c’est un ancien couvent, le commandant fait une sortie contre ces fainéants de moines, mais reconnait qu’ils avaient le chic pour choisir de beaux sites comme résidences...


1er mai 1915. — Je trouve le commandant installé dans la salle à manger devant son café. La tunique largement ouverte sur une chemise de flanelle grise, il ressemble à un brave garde forestier. La veille, le colonel a donné une fête, et il a dû boire