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qui lui fût permise : il écrivait. Encore ne le faisait-il pas sans péril : il pouvait toujours craindre qu’une délation ne conduisit la police chez lui et n’amenât la découverte de son manuscrit : il fallait sans cesse imaginer de nouvelles cachettes pour mettre à l’abri le corps du délit.

Parmi ces feuillets, nous en choisissons quelques-uns tirés du journal des années 1915 et 1917. Les premiers, — ceux de 1915, — forment un petit tableau de la vie militaire des Allemands en Alsace. Avec la verve narquoise de ceux de son pays et le coup de crayon d’un bon dessinateur, l’artiste y esquisse quelques types d’officiers. Ses croquis ne sont point des charges grossières ; il raille quelques fantoches, mais discerne avec terreur les mérites et la force de cette armée allemande dont il souhaite la défaite de tout son cœur.


OFFICIERS ALLEMANDS

Au mois d’avril 1915, des troupes viennent cantonner au pied de Sainte-Odile pour y réparer les pertes et les fatigues qu’elles ont éprouvées en Champagne ou en Argonne. Pendant toute la guerre, du côté allemand comme du côté français, on envoyait se reposer en Alsace les divisions fatiguées. A Saint-Léonard, où l’on avait conservé un fâcheux souvenir du passage d’un régiment wurtembergeois en août 1914, on n’était point sans appréhension.

Passe d’abord un régiment de la garde ; il se comporte décemment, et les officiers se contentent des bouteilles qu’on leur donne. Dans la maison de M. Anselme Laugel loge un officier de réserve, que M. Charles Spindler portraicture ainsi :


3 avril 1915. — Je me rends dans la maison de Laugel. L’un des officiers se présente à moi, comme Oberlehrer Z. Z. im Felde. Il vient de se lever frais et dispos. Il m’aborde en me serrant la main. Pour un officier de réserve, il a une tournure très militaire, bien que sans pose. Pas de morgue et l’air bon garçon. Il parait enchanté de son logement, et je lui fais faire un tour de jardin... Il admire beaucoup la propriété de mon ami et ne demanderait pas mieux, la paix une fois signée, que d’en devenir le propriétaire : « Une pareille propriété, avec une gentille petite femme, cela ferait bien mon affaire. » Il me dit que le commandant est venu, la veille, visiter la maison et en a beaucoup admiré les peintures et l’aménagement. La devise de la cheminée : Vieux tisons, vieilles amours durent toujours, l’intrigue, et je lui en explique le sens. Là-dessus, il me fait l’éloge