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passé, que nous continuons de mettre sur le nom d’un homme l’immortalité d’une grande victoire. A lire certains écrits qui nous viennent d’outre-Rhin, on discerne que la pensée allemande, à la veille de déclencher le cataclysme, était à peu près celle-ci : si nous avons un homme de génie, tant mieux ; s’il nous manque, notre organisation est si parfaite qu’elle peut s’en passer. Au même moment, la pensée française, inquiète sur notre préparation, attendait anxieusement l’homme de génie, celui que Renan, au lendemain même de nos désastres, avait annoncé, cherchant un jour à la Sorbonne, parmi les jeunes têtes qui l’écoutaient, le front d’où sortirait la Victoire, le front marqué par le Destin. On voit l’opposition : d’un côté, la confiance scientifique dans l’organisation des forces de la Matière, de l’autre, notre vieille foi dans les imprévisibles ressources de l’Esprit.

Par ailleurs, ne répète-t-on pas chaque jour que les grandes affaires industrielles et commerciales, les grandes administrations publiques, soustraites enfin à la direction d’un seul, doivent être confiées à des comités de techniciens, à des conseils de compétences, où les plus humbles seraient représentés ? Tous les talents seront utilisés, mais à la condition qu’ils restent dans le rang, si beaux soient-ils. Le génie lui-même doit fondre son effort dans celui de tous, en vue d’une organisation meilleure, sans se souvenir qu’il fut souvent, et avec succès, chef, directeur, maître, images qui peu à peu s’affaiblissent et vont s’abolir. Au fond, toujours la même pensée scientiste, très claire et très neuve, jalouse et niveleuse, une pensée d’en bas. La science n’est pas responsable des erreurs que l’on commet en son nom, ni la démocratie des maladies qui travaillent sa jeunesse.

La démocratie médicale, — car il y en a une, — est toujours très fière de ses maîtres. Il reste que le meilleur médecin est celui qui joint à beaucoup de science un esprit clinique très pénétrant. Ce sont les deux parties essentielles de l’excellence en médecine et, loin qu’elles s’excluent, on les voit souvent réunies. Faut-il sur l’une d’elles faire quelques sacrifices, que ce soit sur la première. Si sa science sur un point est déficiente, le médecin y supplée par celle du voisin. Ne fait-il pas sans cesse appel aux spécialistes ? Pour l’esprit clinique, qui est proprement le fond de notre pensée médicale, quand il fait défaut, aucune suppléance n’est possible.