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parle pas moins bien, et en principe la conversation médicale n’a pas à souffrir de ce changement.

Est-elle en progrès ? Peut-être vaut-il mieux poser la question autrement et se demander si l’esprit clinique est en honneur aujourd’hui comme il l’était autrefois. Certaines craintes ont pu paraître légitimes. Il y a d’abord la question des disciplines préparatoires. On cultive l’esprit scientifique par l’étude des sciences, celui de finesse par les lettres, les arts, l’histoire, la philosophie, les humanités, ce très beau nom d’une très belle chose. Y a-t-il dans l’ensemble de nos connaissances une partie plus humaine que la médecine ? On sait que la ferveur pour les humanités, un moment en décroissance, tend à augmenter depuis la guerre.

Et puis, la science a sous nos yeux des succès qui tiennent du prodige ; il en résulte un peu d’enivrement général auquel les médecins ne peuvent échapper. Le laboratoire nous apporte chaque jour une découverte nouvelle : on en prévoit beaucoup d’autres ; on a de grands espoirs, de vastes pensées qui vont jusqu’au rêve. Le cas clinique entièrement résolu par la science, voilà le rêve exprimé dans la langue qui lui plait. Il s’apparente à un autre, plus ambitieux, que l’on connaît : la science, réalisant son devenir divin, expliquant l’Univers, justifiant les paroles que le Sage adresse -au Seigneur : « Votre œuvre est mesure, poids et nombre : omnia in mensura, pondere et numero posuisti. »

Laissons ces rêves métaphysiques pour écouter l’avis éclairé de nos maîtres. Ils nous disent : « La médecine prend un caractère de plus en plus scientifique. Une observation médicale n’est aujourd’hui valable qu’avec l’appui du laboratoire et par lui contrôlée. Il est indispensable et qui voudrait s’en passer ressemblerait à un aveugle refusant de devenir clairvoyant. Le laboratoire nous impose ses conclusions au nom de la science : nous avons en retour le droit et le devoir d’exiger que cette science soit irréprochable. L’erreur du technicien est si redoutable qu’on ne saurait lui passer la moindre insuffisance. L’examen histologique d’un tissu ou bactériologique d’une culture, s’il doit décider de la vie d’un homme, prend une éminente dignité qui ne supporte pas le médiocre. C’est un premier point sur lequel tout le monde est d’accord, et voici le second sur lequel on doit l’être. La vérité du laboratoire est très ferme, dissipe l’obscurité, résout le problème donné, met dans l’esprit le délice de la certitude,