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la science, ne le comportent pas A ce que nous savons de toute certitude, nous ajoutons ce que nous ne savons pas. Nous disons par exemple couramment : la maladie est une bataille que la vie livre pour se défendre. Le plus souvent l’agression est microbienne : sur le point menacé accourent aussitôt les défenseurs, globules blancs du sang, devenus phagocytes, cependant que la résistance s’organise en arrière dans les ganglions et le sérum. Perdue ou gagnée par l’organisme, la bataille fait des victimes, dont les cadavres forment les éléments essentiels de la gouttelette de pus, qui témoigne du drame. Nous prêtons aux infiniment petits nos propres passions et, dans les livres les plus scientifiques, on rencontre à chaque page des expressions qui trahissent notre anthropomorphisme : nous mêlons nos imaginations aux vérités les mieux démontrées. Étrange langage, et qui dépasse singulièrement notre science ! Celle-ci nous découvre les conditions matérielles des phénomènes vitaux, non le mystère de la vie, ni son principe, ni sa fin, et nous parlons toujours comme si nous en savions quelque chose. Notre langage ne s’embarrasse pas de notre ignorance, de quoi il y a des raisons qui seraient sans doute bonnes à chercher.

Nous ne voulons faire ici qu’une constatation : notre langage, qui tient si grande place dans notre pensée, est la marque extérieure du type intellectuel auquel nous appartenons. Nous avons essayé de montrer celui du bon clinicien, où l’on trouve le principal de ce qu’il faut pour conduire à bien la conversation médicale, telle qu’elle doit être, tour à tour enquêteuse, consolatrice, guérissante.

De bien parler ne suffit pas, d’ailleurs, pour bien causer : la conversation est un art qui demande autre chose. En somme, tout se réduit à ceci que le seul esprit scientifique ne nous donne ni le bon clinicien, ni la bonne conversation médicale.


La psychologie nous a conduit à cette conclusion : elle serait confirmée par l’étude des grands cliniciens dans le présent et le passé. Sans doute, les médecins d’aujourd’hui ne parlent pas comme nos devanciers, mais cela n’est pas moins vrai des avocats, d’ailleurs de tout le monde. La pensée moderne, ayant pris le caractère scientifique, le discours est moins ample, moins sonore, plus simple, plus pressé ; mais, pour parler autrement, on ne