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artérielle et le taux de l’urée dans le sang. De même sur cette maladie de peau, le laboratoire projette une vive lumière, mais d’autres clartés nous viennent de la forme, dimension, couleur, aspect des boutons, de tout le paysage éruptif, dont les dermatologistes nous font des descriptions parfois fort imagées. Dernièrement sous nos yeux, un de leurs maîtres tirait de quelques détails légers du paysage, joints à certaines particularités de l’état général, des raisons suffisantes pour s’inscrire en faux contre les affirmations du laboratoire : l’événement donna raison à la finesse de son esprit clinique. Prenons le plus banal de tous les phénomènes morbides, le phénomène fièvre, dégagé de toutes les causes qui l’ont produit et l’entretiennent. Sommes-nous sûrs de l’inscrire tout entier dans le chiffre de la température, même en y joignant celui du pouls, le rythme respiratoire, le tracé sphygmographique, etc ? Ne laissons-nous pas certaines réactions délicates des centres nerveux pour lesquelles nous regrettons peut-être quelquefois l’abondante terminologie des anciens ? Ainsi, comme tout à l’heure sur les deux volets du diptyque, deux manières d’observer et deux langages.

On vient de voir l’esprit de finesse dans l’analyse du malade. Il le faut suivre dans la synthèse à laquelle il est également propre, toujours soutenu par la richesse du verbe. Ces jugements synthétiques ne sont pas rares en clinique, et le lecteur en connaît au moins deux que nous lui avons signalés : l’un, provisoire, qui sort du premier regard dont le médecin enveloppe son malade, l’autre, plus fondé, qui s’achève dans le dernier qu’il lui jette en le quittant. En quoi, dira-t-on, la richesse du verbe est-elle nécessaire à ces jugements qui souvent s’enferment dans un seul mot, tuberculose ou cancer, par exemple ? Oui, si ces jugements n’étaient qu’une sommaire conclusion, une schématique image, très exacte, mais inefficace pour exprimer tout le travail que notre esprit a fait au profit du malade et se propose de faire encore. Qu’est-ce, pour un artiste qui veut entreprendre un portrait, que le simple souvenir d’une tête ronde ou carrée ? Il lui faut une image riche, surtout vivante. De même, nos jugements synthétiques sur le malade doivent être une pensée très compréhensive, embrassant une réalité concrète et très complexe. Cette pensée ne peut jouer dans notre esprit que grâce aux abondantes ressources du langage.

Celles-ci sont inséparables de l’esprit de finesse, parce qu’il