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cœur même de notre sujet. Comme l’immobilité de la matière se découpe en tranches nettes, mesurables, séparées par des intervalles qui le sont aussi, le langage de la science est rigoureux, mais pauvre et n’a pas besoin d’être riche, car la plupart des mots peuvent être remplacés par des chiffres. Au contraire, la mobilité de la vie se déroule en nuances à contours imprécis, qui se prolongent et se fondent les unes dans les autres, tel le miroitement au soleil d’une onde qui fuit : ici le langage, forcément imprécis, doit être riche, très riche, pour qu’un mot, — et souvent il en faudra plusieurs, — arrête au passage chaque nuance et la retienne. Il arrive parfois que les mots, choisis avec soin, doivent prendre de la sonorité, grâce aux arrangements qu’on leur donne, afin d’exprimer certaines nuances très fines, qui, sans cela, se déroberaient à leur prise. En dernière analyse, l’esprit de finesse réclame le langage littéraire.

Voici quatre couleurs étendues côte à côte sur une plaque de verre. Le savant nous dit : je les ai obtenues en mélangeant une quantité invariable de rouge à une proportion de jaune croissante comme les nombres 1, 2, 3, 4. Je les désigne donc par ces chiffres. Ces quatre associations ou résultantes, sont quatre accords, si l’on transporte en optique ce qui se passe en acoustique. Comme dans l’accord musical, chaque note vibre pour son compte, chaque couleur vibre pour le sien. L’œil, moins bien doué que l’oreille, ne dissocie pas les éléments constitutifs, mais la dissociation se fera par le prisme comme elle se fait en acoustique pour le résonnateur. Chaque couleur apporte dans l’association son rythme vibratoire, sa longueur d’onde. Joignez-y les vibrations secondaires ou harmoniques avec leur périodicité.

Ainsi parle le savant, dans un langage où pas un mot n’est mis qui n’exprime une valeur numérique, langage sévère et pour tout le monde ayant force de loi. Nous retrouvons ces quatre couleurs dégradant, dans les nuages, la lumière d’un beau soleil couchant. Le savant est encore là pour nous avertir que ces jeux de lumière et tout l’arrangement du tableau tiennent à des changements moléculaires. Il s’agit bien de cela ! Les quatre couleurs sont maintenant images dans mon esprit, émotion de mon âme, moments de ma pensée, une pure et fluide qualité. Pour vous en parler dignement, je suis conduit à vous conter une vieille et charmante histoire.