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Mais le malade est sacré, trois fois sacré. Il est à nos pieds terrassé par le mal, qui nous livre d’intimes secrets parfois très graves, et met en nous tout son espoir. Pour que notre conversation lui soit tout à fait bienfaisante, l’esprit ne suffit pas, il y faut joindre notre cœur.

Lui seul achèvera de donner à nos paroles l’enchantement qui fait oublier le mal, dissipe les inquiétudes, cache la mort qui s’avance. Torturé dans son corps, le malade l’est de bien d’autres manières, sur les points les plus divers de sa sensibilité, intérêts, ambitions, rêves et passions. Le champ n’est pas labouré auquel on doit confier la semence, espoir de l’an prochain ; le livre n’est pas fini dont on attendait la gloire ; on ne voit plus chaque jour l’objet doux et charmant d’une tendre inquiétude et l’absence est le plus grand des maux. Sur ces souffrances, — toutes d’humiliation, — la parole du médecin répand, comme un baume, la vertu de son apaisement.

Non contente d’apaiser, elle aspire à guérir et chaque jour y réussit avec certains états pathologiques bien connus. Elle est presque notre unique ressource dans une branche de la thérapeutique, la psychothérapie. Le nom est nouveau, non pas la chose. Ce n’est pas d’hier que l’âme équilibrée et vaillante du médecin, par le contact, l’exemple et surtout la parole, chasse les idées noires, relève la dépression, rétablit la volonté, refait en un mot le moral de son malade. Jamais la psychothérapie ne fut plus en honneur qu’à la fin du XVIIIe siècle, dans ce temps où, selon le mot de Talleyrand, il fut si doux de vivre, à la veille du cataclysme. Grands seigneurs et financiers, princesses et grandes dames, épuisés par les fêtes, faisaient à leur réveil appeler le médecin qui, dans une heure de conversation, leur rendait l’influx nerveux, dépensé la veille. Une place dans la ruelle ou le boudoir lui était réservée. Il causait de bien des choses, et toujours de physique, de chimie, de forces invisibles, de sciences occultes, de Mesmer et de Cagliostro. On crut beaucoup au surnaturel à l’époque où l’Encyclopédie préparait l’incrédulité moderne. La main soignée du médecin, relevée d’une fine dentelle, soulignait et ponctuait les phrases en maniant une élégante tabatière. C’était le cadeau que l’on faisait volontiers à l’aimable causeur. Quand Bordeu mourut, on trouva chez lui plusieurs centaines de « boites à tabac » d’une grande valeur.

La tabatière est passée de mode, comme Mesmer et son