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richesse : nous croyons avoir l’esprit et les idées que nous lui devons. Dès qu’il parait, notre pensée s’échauffe et notre langue part. Tâchons d’être l’interlocuteur préféré de nos malades.

Il est rare qu’on puisse avec eux rester dans la vérité. Il faut effrayer les uns parce qu’ils seraient imprudents, rassurer les autres parce qu’ils sont pusillanimes.

Certes, il y a des hommes qui supportent stoïquement la souffrance et, quoi qu’en dise La Rochefoucauld, regardent fixement la mort : ils nous font peut-être appeler par bienséance, comme d’autres le prêtre. Ils écoutent nos avis et même les suivent ; ils n’en attendent rien : c’est encore bienséance de leur part. Ils ont l’âme antique et souci de mourir selon les rites de la cité. Notre conversation leur est inutile, mais, s’ils parlent, il les faut écouter.

La plupart des malades ont peur. Nous les rassurons et cela se fait de diverses manières. Le désir de vivre est tel dans notre pauvre cœur qu’il se raccroche aux espoirs les plus invraisemblables, pour peu qu’on sache les lui présenter.

Il est un défaut dont le médecin doit soigneusement préserver sa conversation, c’est l’ironie qui traite gravement les sujets légers et légèrement les sujets graves : le malade accepterait facilement la première, mais non pas la seconde. Une autre chose qu’il faut toujours y mettre, c’est un dogmatisme solide, qui affirme le pouvoir infini de la science, car tel est le sort ingrat de la médecine qu’on doute d’elle, quand on se porte bien, pour lui demander l’impossible quand on est malade. Retenons que la souffrance n’aime ni la sécheresse de l’ironie, ni les hésitations du doute.

Le malade est sensible aux nuances et la causerie du médecin demande une extrême surveillance. La maladie chronique, quand elle respecte le cerveau, affine l’esprit : le fourreau s’use et la lame s’aiguise. L’influence d’un état valétudinaire sur le génie et le talent a été souvent remarquée ; on cite bien des noms, Pascal, Vauvenargues, Erasme, Voltaire, Joubert, d’autres encore. Restons avec l’humanité moyenne, celle que nous soignons tous les jours et notons simplement que la maladie, en nous imposant le repos et la solitude, force notre esprit à se recueillir et se concentrer sur de petites choses. Ce n’est pas tout à fait un vain exercice que de suivre, pendant des heures, les attitudes d’un chat sur le lit, les querelles de deux pinsons sur la