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un jaloux. Il l’est de ceux qui se portent bien, tout naturellement de son médecin qui représente officiellement la santé devant lui. Il est couché et vous êtes debout ; il est à la diète, et vous sortez de table avec le teint réjoui ; il n’a pour horizon que le plafond de sa chambre, et vous venez de voir la beauté du printemps sur les jardins en fleurs. Choisissez un sujet où le malade excelle et retrouvera ses avantages sur nous. Parlez-lui musique s’il est musicien, viticulture s’il est vigneron. Ce sera l’occasion d’une discrète revanche. Les revanches sont douces au cœur humilié des malades, toniques pour leurs forces physiques et par surcroit pour les autres.

Mais il faut en cela même garder la mesure. Le médecin doit parler de tout avec convenance, comme autrefois « l’honnête homme, » ne rien dire qui puisse l’amoindrir aux yeux de son malade ; l’égoïsme de celui-ci, par un détour facile à saisir, en serait vite alarmé. L’homme, tombé dans un précipice, se rassure à la vue du bras vigoureux qui lui tend la perche, et pareillement le malade dans sa détresse, en songeant à la valeur intellectuelle de son médecin. Le malade aime nos qualités et même les amplifie par égoïsme. C’est un égoïste à part, presque un phénomène pathologique, qui nait et s’éteint avec la maladie. Prenons garde qu’une conversation sur un sujet non médical ne diminue la belle et nécessaire confiance du malade.


Si le malade cause volontiers avec vous, la partie est gagnée. Il y a des gens avec qui l’on cause toujours, d’autres auxquels on ne trouve rien à dire. C’est, direz-vous, affaire de sympathie et accord entre les idées. Oui sans doute, mais ce n’est pas que cela, car des personnes très sympathiques et qui partagent toutes nos idées, nous laissent fort silencieux. Il faut en plus une sorte d’harmonie préétablie entre les deux cerveaux, une sorte de résonnance entre les deux centres du langage. Tantôt c’est une parole hésitante embarrassée qui vous invite à lui substituer votre force et votre clarté, tantôt c’est une parole facile qui déclenche et entraîne la vôtre par imitation ; grand ressort, comme on sait, dans notre activité psychique. Chacun, d’ailleurs, a son interlocuteur préféré. C’est souvent un ami plus riche que nous qui choisit les sujets, d’un mot ouvre chaque chapitre, achève parfois une de nos phrases et finalement nous donne l’illusion de sa propre