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Le clinicien supérieur est rare qui veut tout savoir de son malade, le corps et l’âme, afin de pousser jusqu’à l’extrême limite du possible le bienfait de son action. Les jeunes gens, dans leur enthousiasme pour la médecine qu’ils apprennent, s’en tracent une image très haute, plus belle que nature, idéalisée, et ont raison de le faire. A méditer sur l’idéal on gagne de s’en rapprocher. La belle image, rayonnant dans l’âme du plus modeste des praticiens, profite à ses malades.


I

La médecine n’existe que par l’observation. Elle lui doit tout, depuis le geste troublant de l’homme des cavernes, saisissant son couteau de silex pour trépaner le crâne de son frère défoncé dans le combat, depuis les nombreuses opérations que l’on trouve tarifées sur les briques séchées au soleil des tombes de Ninive et de Babylone, depuis la sagesse toujours jeune et vivante des préceptes hippocratiques, jusqu’aux dernières découvertes sur les microbes et leurs toxines, sur les sensibilisations qui nous rendent vulnérables et les vaccinations qui nous protègent, orgueil de la science moderne. Chaque fois que les médecins, cessant d’observer directement la nature, l’ont voulue voir à travers des concepts, même riches de gloire, la science s’est arrêtée dans son essor, tombant au point de mériter les plaisanteries de Molière. C’est par l’observation enfin, patiente et minutieuse, que nous réalisons chaque jour la fin de notre effort, qui est la guérison du malade.

Ce mot d’observation ne doit pas en imposer et, par exemple, faire croire qu’il s’agit d’une forme modeste de la pensée, timide, presque humiliée. Elle réclame au contraire toutes les forces de l’esprit, dont le jeu devant un cas clinique se déroule en quatre temps, ayant chacun sa dominante psychologique.

C’est d’abord un jugement initial. A peine est-il près du lit que le médecin l’a déjà porté. Il le tire de l’attitude du malade, de l’expression de son visage, de la manière dont il respire, se plaint et raconte son mal, des renseignements recueillis dans l’escalier. C’est un jugement synthétique et intuitif, éclair d’une évidence immédiate, prise directe de l’esprit sur le problème qui se présente et qu’il range d’emblée, sous étiquette provisoire, dans le cadre nosologique. Sa valeur dépend de notre science et