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Buchtirad, 29 juillet.

Je pars pour Prague le 25 avec le jeune Pina et M. de Grasse, officier de la garde royale, fait lieutenant-colonel du 4e de hussards, lors de la campagne d’Alger. A la première poste, nous trouvons le vicomte Sosthène de la Rochefoucauld, enfoncé dans une lourde voiture, remplie de sabres, de pistolets, de tromblons, ayant l’air d’un véritable arsenal. Après une marche de trente-sept heures, par un temps magnifique, mais très poudreux, nous arrivons à Prague vers onze heures du matin. Ne trouvant pas de place à l’hôtel du « Schwarzen Ross, » nous nous rendons à « l’hôtel des Bains. » J’y rencontre M. de Calvimont avec qui je pars pour Buchtirad. Ce jeune homme, fils adoptif de M. Lynch, vient de Paris, porteur de plusieurs lettres où l’on réclame contre les changements opérés dans l’éducation de M. le Duc de Bordeaux.

M. de Calvimont a des sentiments purs et honorables avec de bonnes intentions, mais, dans ce qu’il me dit sur son voyage, j’ai remarqué certaines de ces petites préventions auxquelles se laissent aller ceux de nos compatriotes qui ne sont jamais sortis de chez eux.

Nous montâmes toute la hauteur du Hradschin et, après avoir suivi l’avenue de Prague pendant près de deux heures, nous tournâmes à gauche pour prendre une longue allée de grands arbres fruitiers qui nous conduisit au château de Buchtirad. Los dehors de cette demeure sont tristes, délabrés ; on voit que depuis très longtemps c’est une habitation abandonnée. Le jardin a des proportions trop petites pour être appelé un parc. Le château est entouré de champs, des troupeaux bêlent sous les fenêtres. Soir et matin, les bœufs font entendre leurs mugissements auxquels se mêlent les cris aigus des oies ou des canards qui prennent leurs ébats dans l’étang voisin. Ce caractère agreste et par suite fort paisible ne déplaît nullement à la famille royale. En écrivant ces lignes, aujourd’hui 29 juillet, je fais involontairement le parallèle des troubles, des clameurs d’émeute dont nous étions entourés, il y a trois ans, au château des Tuileries avec le calme bucolique et le silence de Buchtirad.

Mon compagnon de voyage et moi cherchâmes un abri dans le village. Nous trouvâmes, avec peine, dans une auberge, une chambre habitable où le lit n’offrait d’autre couche que de la