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déclarait que, pendant quelques mois, elle avait enduré des tortures morales extrêmement pénibles. « Vous avez été si tendre dans vos soins pour mes enfants, ajoutait-elle, que je vous les confie de nouveau. Je serai heureuse de vous revoir ; dans tous les cas, attendez-moi à Prague pour le règlement de mes affaires mêlées avec celles de mes enfants. »

M. de Chateaubriand fut aussi étonné que la Dauphine de ne trouver dans ces pages ni excuse, ni explication et qu’ainsi fût annoncée l’intention d’un retour dans une famille cruellement offensée. Toutefois, la princesse répondit et remit à M. de Chateaubriand un mot dans lequel elle dit à la Duchesse de Berry : « J’ai soigné vos enfants avec une vive affection. Je redoublerai, s’il se peut, de soins et de tendresse pour eux. Ma sœur, comptez sur mon intérêt. Je vous plains, vous êtes certainement bien à plaindre. »

Il était impossible de parler avec plus de bienveillance. Plus tard, quand le Roi vit la lettre, il fut très peiné.

— Si elle eût prononcé le moindre regret, dit-il, elle nous aurait touchés, mais je suis indigné qu’elle traite aussi légèrement le tort le plus grave qu’elle pût faire à sa famille.

M. de Chateaubriand resta trente-six heures à Carlsbad. Il y dîna avec la Dauphine, la comtesse Esterhazy et sa fille Marianne. Ses conversations furent intéressantes. En prenant congé de la princesse, il lui dit qu’elle seule pourrait ramener Henri V en France et il ajouta : « Y consentirez-vous ? » Cette demande fit sur Son Altesse Royale plus d’impression qu’elle n’en laissa paraître : — Je serai toujours dévouée, répondit-elle, à opérer tout ce qui pourra dépendre de moi pour l’avantage de mon pays et dans les intérêts de mon neveu. S’il était nécessaire, je me rendrais en France, mais jamais qu’avec les ordres du Roi et de mon mari.

— Je trouve l’établissement du Roi à Prague parfaitement digne d’une hospitalité de souverain, déclara M. de Chateaubriand. Au moment actuel, vous ne sauriez être mieux placés que dans les Etats de l’empereur d’Autriche, mais vous êtes trop éloignés de France pour y demeurer longtemps. Dans l’état des choses, il suffit d’une simple émeute pour ramener la légitimité à laquelle on songe incontestablement. Or, il faudrait sept jours pour vous avertir et sept autres jours avant votre arrivée. Dans cet intervalle, les esprits pourraient tourner.

— Alors, répondit la Dauphine, vous me feriez croire que