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elle gagne la Vendée où elle espère que la fortune lui sera moins rebelle qu’en Provence. De ci de là, on prend les armes pour elle, des combats ont lieu, mais la lutte est trop inégale, les troupes de Louis-Philippe trop nombreuses. Les légitimistes vendéens doivent renoncer à leur mouvement et la Duchesse de Berry est contrainte de se réfugier à Nantes où elle arrive le 9 juin 1832. Durant cinq mois, elle échappe aux diligentes recherches de la police et elle y aurait échappé longtemps encore, si Deutz, un misérable juif, auquel elle faisait imprudemment confiance, n’avait indiqué au Gouvernement sa mystérieuse retraite. Aussitôt la demeure est cernée par la troupe, mais la princesse a le temps de se dissimuler avec Mlle de Kersabiec, MM de Mesnard [1] et Guibourg dans une cachette pratiquée au fond d’une cheminée et masquée par une plaque de fer. Dans la pièce se postent deux gendarmes. Vers la fin de la nuit, engourdis par le froid, ils allument du feu. La plaque devient rouge. Asphyxiés, risquant d’être brûlés, la Duchesse de Berry et ses compagnons sont forcés de sortir de leur cachette et de se rendre. Quand on a vu ce réduit si étroit, on ne peut comprendre comment quatre personnes y demeurèrent entassées pendant seize heures et l’on admire leur indomptable énergie.

Le 16 novembre, la princesse est internée dans la citadelle de Blaye où, sans jugement aucun, le Gouvernement de Juillet la tint emprisonnée. Cet arbitraire ne fut pas sans soulever l’indignation, non seulement en France, mais à l’étranger. Chateaubriand s’écriait : « On prend donc la couronne du fils et on retient la mère en prison... Direz-vous que Madame a cherché à renverser l’ordre de successibilité à la couronne. C’est vous qui avez renversé cet ordre. Quel est le délinquant le plus audacieux, de celui qui attaque une succession de 36 mois de durée ou de celui qui interrompt une succession de plusieurs siècles... Il y a eu rébellion ? Oui ! rébellion contre rebelle. »

Le général Bugeaud était gouverneur de Blaye et le rôle qu’il y joua fait tache sur sa gloire militaire. Le rapport d’un médecin lui ayant appris que la Duchesse de Berry se trouvait sans doute en état de grossesse, il n’eut de repos ni de cesse d’en avoir confirmation. Médecins sur médecins furent convoqués. Bugeaud devint, comme on le surnomma par la suite, le « sage

  1. Louis-Charles-Bonaventure Pierre, comte de Mesnard. Premier écuyer de la Duchesse de Berry, pair de France. Il avait suivi dans l’exil la famille royale.