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devoir dans la Grande guerre, si elle l’avait fait jusqu’au bout, elle aurait, par son bon droit comme par l’héroïsme de ses enfants, obligé l’Angleterre à lui rendre justice ; ayant été toute à la peine, elle aurait été aussi toute à l’honneur, et elle se verrait aujourd’hui en meilleure posture morale et politique vis à vis d’elle-même comme vis à vis du monde. Au lieu de cela, dès 1915, cœur et persévérance lui manquant, elle s’est repliée sur elle-même, dans une vue étroite et égoïste des choses, elle s’est laissé leurrer par une grossière illusion d’optique dans l’interprétation des grands événements européens dont elle n’avait pas le droit de se dégager.

Abîmée dans le spectacle de ses plaies ouvertes et de ses droits violés, oubliant que la liberté n’est pas un but, mais un moyen, elle a fini, faute de sang-froid, de maîtrise de soi, — il faut être fort pour être modéré, — par céder aux violents et se livrer à l’Extrémisme. Et l’Extrémisme, dès lors, portait en lui-même sa fatalité ; nous voyons maintenant ce qu’ont été ses effets. Il a permis aux Irlandais de jeter dehors les Anglais, mais il a jeté ensuite, comme par un choc en retour, les Irlandais les uns contre les autres. Pour conquérir sa liberté, l’Irlande a recouru aux armes, et de cette liberté conquise, le premier usage qu’elle fait est d’armer ses fils pour la guerre civile, en se déchirant elle-même. La violence illégitime a provoqué des excès sans nom, et si elle a pu faire conquérir à l’Irlande ses droits nationaux, elle portait en soi cette conséquence inévitable de lui faire perdre, avec l’usage même de ces droits, les biens les plus précieux, c’est-à-dire l’union de ses fils et la rectitude de sa propre conscience, sans parler des sympathies extérieures que ses crimes lui ont pour longtemps aliénées.

De l’excès du mal verrons-nous enfin naître quelque bien, et la paix sortir de la guerre ? Une renaissance suivra-t-elle la décadence au sein de cette nation qui, dans sa longue histoire, n’a jamais su vaincre, mais n’a jamais voulu mourir ? On veut ici l’espérer. Il est à croire que le virus révolutionnaire viendra un jour à s’éteindre, soit que les irréductibles s’usent à la longue, soit que leurs crimes finissent par provoquer dans la population terrorisée un sursaut d’énergie où elle trouvera la force et les moyens de réduire à merci les fauteurs de désordre. Souhaitons qu’il ne soit pas trop tard, et qu’il reste alors à l’Irlande épuisée