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en une sorte de folie sanguinaire, un vertige de crimes, de destructions, de vengeances personnelles qui déshonorent un parti. Sur le noyau, peu nombreux relativement, de rebelles qui restent en campagne, le clergé, dont la force modératrice était autrefois si puissante en Erin, — elle l’est notablement moins depuis l’avènement du Sinn Fein, — a perdu toute influence ; à une récente lettre pastorale de l’Episcopat condamnant la rébellion et décrétant d’excommunication ceux qui s’y livrent, ils font une réponse aussi ironique qu’insolente Aucun espoir de les amener à résipiscence, ils ne céderont qu’à la force, et, jusqu’à ce que la force ait eu raison d’eux, ils continueront à ruiner moralement et matériellement leur patrie et à assassiner leurs frères avec le plus parfait mépris de la vie des hommes. Périsse l’Irlande plutôt que la république !


VI

Finis Hiberniæ : si le secours n’arrive à la dernière heure, de Dieu ou des hommes, c’en est fait de l’Irlande, qui ne sera bientôt plus qu’une terre de mort et de misère. Le désastre est d’autant plus accablant que l’occasion perdue avait pu sembler plus belle. A quoi aura servi un traité dont les conditions somme toute très favorables auraient dû satisfaire, au moins pour le présent, les plus patriotes ? A quoi servira que, depuis le mois de décembre dernier, l’État Libre ait pris officiellement naissance ? Après la ratification du traité, une constitution très démocratique a en effet été votée par la Dail et approuvée par le Parlement britannique ; Chambre et Sénat sont entrés en fonctions ; le président Cosgrave, successeur d’Arthur Griffith, a formé son ministère, et, comme gouverneur général du nouveau Dominion, le Gouvernement de Londres a eu l’adresse de choisir, au lieu d’un duc et pair, d’un grand personnage anglais, un Irlandais nationaliste, mêlé depuis quarante ans à la vie politique de son pays, et qui ne cache pas ses sympathies pour le Sinn Fein, M. Timothy Healy. Voilà donc la liberté irlandaise consacrée par la loi, et la voie ouverte à une ère de paix, de progrès et de prospérité. Pourquoi faut-il que, par l’acharnement d’un petit nombre dans l’utopie et dans le crime, l’Irlande, après avoir touché le but, retombe dans le néant ? Elle sombre dans l’anarchie. C’est comme l’agonie, le lent suicide d’Erin.