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possession d’armes ou d’explosifs, ou d’uniformes militaires, de documents d’Etat ; pour les menaces de mort, pour l’assistance prêtée aux évasions, c’est la servitude pénale. Dès le mois de novembre, a commencé la série rouge : Erskine Childers est passé par les armes l’un des premiers, puis Rory O’Connor, Liam Mellowes, etc. ; à la fin de janvier on comptait une cinquantaine d’exécutions capitales qui, si justifiées qu’elles fussent par la nécessité de sauver le pays de la guerre civile, n’ont pas laissé parfois de prendre un peu, à la faveur des circonstances, l’aspect de représailles.

Loin de mâter les rebelles, cette répression tardive, à la fois faible et rigoureuse, en tout cas inopérante, les surexcite et les exaspère. De Valera se fait nommer par ses partisans Président (in partibus) de la République, et forme un soi-disant Gouvernement républicain ; en réalité, il y a longtemps qu’il est débordé par les plus violents et que le vrai pouvoir révolutionnaire est aux mains des bandes armées, commandées par des meneurs locaux, avec quelques chefs plus en vue comme Liam Lynch. Les attentats, plus affreux que jamais, visent spécialement les ministres, députés et sénateurs, et leurs familles, ainsi que de simples particuliers favorables à l’Etat Libre : tous sont menacés, quelques-uns sont assassinés, beaucoup voient leurs maisons incendiées, de même qu’on saccage et on brûle nombre de résidences appartenant à d’anciens unionistes. Il y a une méthode dans cette criminelle folie ! Ajoutons que sous le drapeau républicain sévit aussi le pur et simple banditisme. Il y a chez les rebelles des convaincus qui, croyant voir toujours la main des Anglais derrière le saorstat, voient rouge ; il y a de purs révolutionnaires pour qui, comme pour Mazzini, « la tempête est le pilote ; » il y a aussi des gens sans aveu, de vulgaires malfaiteurs, des desperadoes qui tuent ou brûlent pour piller. Entre certains chefs de bandes et des bandits de grand chemin, la différence, dit-on, serait parfois minime. De leurs excès les chefs irréductibles sont bon gré mal gré complices, et la cause républicaine porte elle-même la responsabilité. « Il est des choses qu’on ne doit pas faire, même pour sauver son pays, » disait un jour le vieux fenian John O’Leary, qui pourtant avait subi pour son compte vingt ans de servitude pénale dans les prisons britanniques. C’est ce qu’ont oublié les rebelles irlandais de l’heure présente. La lutte pour la république a dégénéré