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républicain. Le traité n’apporte pas à l’Irlande la paix, mais les pires calamités. Légitime est la résistance : « il est des droits qu’une minorité peut soutenir à juste titre et même par les armes contre la majorité, et de ce nombre est le droit de défendre et de préserver, pour nous et pour ceux qui viendront après nous, le précieux héritage d’un peuple libre qui n’a jamais rien aliéné volontairement de son territoire ni de son indépendance. »

Ainsi, ce n’est pas une opposition constitutionnelle qui s’élève en face du parti au pouvoir, c’est une bataille qu’on engage contre le Gouvernement provisoire pour le renverser, comme on a renversé et chassé le Gouvernement britannique. Ce n’est plus contre l’étranger, c’est contre la nation même qu’on organise la lutte. Liberté, démocratie, ne comptent plus devant la volonté d’un petit nombre : pure conception jacobine. On veut rendre le gouvernement impossible ; on le discrédite, on paralyse son action, on incite les autorités locales à lui refuser obéissance. On brime la presse, on saisit les journaux adverses, on saccage leur matériel, celui du Freeman entre autres. On menace les partisans du traité, les chefs du Gouvernement provisoire. On entrave les réunions publiques, on empêche les orateurs de se faire entendre, on intimide la foule par des coups de feu, on brûle les estrades, on bloque les voies d’accès pour faire le vide ; à Sligo, en avril, on prétend interdire au président Griffith de parler. On vole les registres électoraux, les livres du fisc, les dossiers judiciaires. Loin de condamner cette campagne révolutionnaire, M. de Valera prône la violence, il la sollicite : « En avant, vous tous, l’Irlande est à vous, prenez-la. » Il prédit que la nation ne trouvera la liberté que dans le sang de ses fils. Il annonce et appelle la guerre civile, laquelle se prépare ouvertement.

Très vite en effet la rébellion, de la politique, a gagné l’armée. Çà et là, d’abord, il y eut des mutineries, des « conseils de soldats, » des pronunciamientos ; puis une partie de l’armée, la plus avancée, se sépare du gros des « réguliers, » répudie la Dail et le Gouvernement, entre en lutte contre l’autorité établie et contre les troupes restées fidèles. Isolées d’abord, les bandes révoltées, dans le Sud et dans l’Ouest, autour de Dublin, et sur les confins de l’Ulster, se rangent peu à peu, plus ou moins, sous l’obéissance d’un « quartier général » dissident