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de la Dail. Ils ont eu contre eux la majorité dans l’assemblée, ils devraient en conscience se soumettre : au lieu de cela, — et c’est ici que commence leur culpabilité morale autant que sociale, — ils se rebellent et, Montagnards contre Girondins, ils engagent une violente campagne contre le Gouvernement et contre le traité. Qui sont-ils ? Ils ne constituent pas une classe, ils viennent de tous les milieux, ils ne sont pas séparés de leurs adversaires dans le pays par une coupure verticale, mais par une ligne de démarcation horizontale. Ce sont les jeunes, voire les très jeunes ; les fanatiques, nourris d’utopies, inspirés par « cette foi qui confond la lâche raison, » comme dit un jour de Valera, ou qui pensent avec Liam Mellowes que « les vies d’hommes ne sont rien, que l’existence même de la Nation n’est rien, que la République est tout ; » les esprits hantés par la recherche de l’absolu, les cœurs obsédés par la haine de l’Angleterre ; ajoutez tous les déçus de la guerre ou de la politique, avec l’inévitable cortège de gens sans foi ni loi qui exploitent le malaise social à leur profit. Faibles par le nombre, ils sont forts en tant qu’élément révolutionnaire, étant violents et sans scrupules. Ils sont forts aussi du fait que beaucoup, parmi ceux qu’ils combattent, ont au fond le même idéal qu’eux, celui de l’indépendance totale, et ne diffèrent d’eux que quant au choix de l’heure et des moyens. Bien des gens de sens rassis, d’expérience, cultivés, des prêtres, des religieux même, font montre à leur égard, au début du moins, d’une étrange et dangereuse indulgence, comme s’ils n’étaient pas fâchés de voir se créer une minorité de protestataires qui servirait de réserve politique pour le cas d’un retour offensif de l’Angleterre.

La ratification du traité par la Dail, à entendre les irréductibles, était illégale et ultra vires ; la Dail, ayant prêté serment à la République, n’avait pas le droit d’abolir la République, laquelle subsiste et subsistera jusqu’au jour où le peuple, décidant librement, dira qu’il n’en veut plus. Le Gouvernement provisoire, né du traité, est sans droit, tel un usurpateur. D’ailleurs toute consultation populaire qui approuverait le traité est d’avance déclarée nulle, comme trahissant l’expression libre de la volonté nationale : « nul être humain, dit un jour de Valera, ne saurait préférer l’état de dépendance à l’état d’indépendance, si ce n’est sous l’influence d’une pression qui vicie son consentement. » Il ne peut y avoir en Irlande de gouvernement stable qu’un gouvernement