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des hommes très jeunes, la plupart sans culture première, sans expérience ni tradition, pleins de confiance en soi comme d’illusions : « des amateurs incompétents, » disent-ils modestement d’eux-mêmes. Ex-extrémistes d’ailleurs, radicaux de tendances, portés à faire table rase du passé, ils tiennent en suspicion tous les dirigeants d’autrefois, et leur sont à eux-mêmes suspects. Néanmoins, étant l’autorité régulière, ils ont plus ou moins pour eux tout ce qui tient à un ordre établi, les commerçants, les fermiers, la portion la plus assise des masses, l’épiscopat et la majorité du clergé, une partie même des anciens unionistes qui désirent travailler à reconstruire le pays ; ils ont jusqu’à un certain point les travaillistes, la majorité des Irlandais-Américains, voire même les ex-fenians d’orthodoxe tradition, prêts à coopérer avec eux comme ils ont fait autrefois avec Parnell. Mais il leur manque le soutien d’une forte opinion moyenne. Et surtout, issus de la violence, ils sont mal placés pour la combattre.

Or la violence ne désarme pas. La violence banale d’abord, la criminalité dite de droit commun. Legs des temps tragiques, de la terreur : une tourbe d’énergumènes, de gunmen, d’aventuriers ou de professionnels du crime, vit sur le pays de désordres et de dépouilles. L’autorité anglaise n’est plus, l’autorité irlandaise n’est pas encore : l’anarchie spontanée se lève dans l’interrègne. Raids à main armée, figure masquée, sur les banques, les magasins, les bureaux de poste, les habitations privées ; vols d’espèces, de marchandises, d’objets précieux ; vols d’autos au jour la journée ; pillage de trains, de gares ; incendies de fermes, de châteaux ; enlèvements, assassinats ; dans l’Ouest la guerre agraire, comme au temps du no-rent, destructions de clôtures, de récoltes, enlèvements de bétail, saisies de terres par force ; çà et là enfin, le drapeau rouge se déploie et les ouvriers de telle ou telle entreprise se mettent en possession des usines. La démoralisation a gagné la jeunesse : on voit garçons et filles porter révolver. La misère grandit, et avec elle l’agitation. En janvier 1922, il y a 130 000 chômeurs, un million d’acres de terres en friche, 20 000 ouvriers agricoles sans emploi. Le désordre règne en maître, l’insécurité est partout.

Politiquement, les divisions se creusent, et dans tout le pays la lutte s’exaspère entre les partisans et les adversaires du traité. Ces derniers, les irréductibles, refusent de reconnaître le vote