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n’est pas un symbole ou une abstraction, c’est notre libération, quelle qu’en soit la formule : si la République (Poblacht) a été le cri de guerre des insurgés de 1916, l’Irlande s’est depuis 1919 déclarée elle-même État Libre (Saorstat). Réclamer aujourd’hui la République, c’est vouloir l’impossible, c’est nous vouer tôt ou tard à une guerre fatale et nous aliéner toutes les sympathies de l’étranger. Du jour où M. de Valera a accepté de négocier avec l’Angleterre, personne n’a pu ignorer qu’un compromis était inévitable, et c’est pour effectuer ce compromis que nous avons envoyé à Londres des négociateurs : ceux-ci ont serré au plus près les grands intérêts de la patrie et arraché à l’Angleterre tout ce qu’il était humainement possible de tirer d’elle ; ils ont en tout cas rapporté intact le drapeau d’Erin. Comme tous les compromis, le traité a ses défauts, mais il est acceptable et honorable pour la nation. Il lui donne la paix avec l’honneur, il rend le pays à lui-même. Pour la première fois, l’Irlande se fait reconnaître par l’Angleterre comme une nation. Elle n’acquiert pas toutes les libertés, elle conquiert du moins les libertés essentielles, les attributs effectifs de la souveraineté, tout ce pourquoi nos ancêtres ont lutté et sont morts : le reste viendra par surcroît, par l’évolution naturelle des choses et le libre exercice de nos nouveaux pouvoirs. Dès à présent, elle devient maîtresse d’elle-même, libre de modeler sa vie à sa guise dans tous les ordres d’idées : c’est l’Irlande aux Irlandais. Que l’Angleterre garde chez nous certains droits en temps de guerre, droits qu’elle prendrait, si elle ne les avait pas, il n’y a pas là marque de vasselage, mais réserve transitoire. Et de ce que nos libertés sont assimilées à celles des Dominions, il n’en découle pas que nous restions sous la domination britannique, car il y a beau temps que les Dominions jouissent de facto d’une véritable souveraineté, laquelle a trouvé naguère sa formule dans l’ « égalité de statut. » Tous sont aujourd’hui intéressés a la préservation de nos libertés, qui sont les leurs, et tandis que l’indépendance, pour une petite nation faible et isolée, n’est d’ordinaire qu’une vaine apparence, un trompe-l’œil, notre association avec ces pays largement peuplés d’irlandais nous sera une précieuse et puissante garantie, vis à vis de l’Angleterre comme de l’étranger. Voyons les choses comme elles sont, et non comme elles devraient être ; tenons-nous fermes à ce que nous avons gagné, sans lâcher la proie pour l’ombre. Est-ce que d’ailleurs